Le microbiote intestinal est bien plus compliqué qu’il n’y paraît. Tout d’abord, on a recensé environ 500 espèces différentes de bactéries, mais la diversité est telle que chaque individu possède son propre microbiote. Autrement dit, le nombre d’espèces communes à plusieurs individus est très restreint, voire nul. « Dans ces conditions, il était difficile de définir le microbiote intestinal “normal”», indique Joël Doré (INRA, Jouy-en-Josas) lors des Journées Annuelles Benjamin-Delessert (JABD, 1er février 2013, Paris).
Sujet normal : de quel groupe intestinal êtes-vous ?
Toutefois, les chercheurs se sont penchés sur cette question, et récemment, ils ont réussi à classer les individus en trois « entérotypes » distincts: les types Bacteroides, Prevotella et Ruminococcus (dénommés en fonction du nom de la principale bactérie qui les compose). Comme pour le groupe sanguin, les individus appartiennent à un groupe intestinal et ce, indépendamment de l’ethnie et de l’appartenance géographique ou génétique. Certes, l’alimentation pourrait avoir une influence, mais seulement à très long terme. Ainsi, « on remarque que le type Bacteroides est plus fréquemment représenté chez les personnes ayant un régime riche en viande, en protéines et en graisses saturées. Alors que le type Prevotella se rencontre davantage chez des personnes ayant une alimentation riche en glucides complexes et fibres », évoque Joël Doré. En revanche, Ruminococcus apprécierait plus l'alcool et les graisses polyinsaturées.
Par ailleurs, on sait qu’il existe une évolution physiologique du microbiote selon l’âge. En simplifiant, le microbiote chez le nourrisson et chez le septuagénaire, se caractérise par un rapport Firmicutes/Bacteroides de 5/1, alors qu’il est de 10/1 chez l’adulte sain. Mais on s’est aperçu que ce rapport était très modifié chez l’adulte obèse (100/1). Les chercheurs ont donc pensé que le microbiote pourrait avoir un rôle dans l’obésité.
Obésité : un microbiote qui stocke
Une étude très intéressante nous en révèle un peu plus à ce sujet. Des modèles de souris axéniques (dénuées de microbiote) ont été comparés à des souris «?conventionnelles » : elles étaient plus minces, mais elles mangeaient plus que les souris normales. Par ailleurs, le transfert de microbiote de souris avec une obésité génétique ou nutritionnelle à des souris axéniques a entraîné une augmentation de la masse grasse des souris axéniques dans les deux semaines suivant l’inoculation.
«?Le microbiote de souris obèses permet la fermentation bactérienne de glucides qui échappent à la digestion dans la partie haute de l’intestin. Cette fermentation permet la libération d’acides carboxyliques à chaîne courte (ACCC) qui contribuent à restituer une part de l’énergie à l’hôte », explique Nathalie Delzenne (groupe de recherche Métabolisme et Nutrition, université catholique de Louvain, Belgique) durant les JABD. D’autre part, les ACCC issus de la fermentation jouent également un rôle dans la régulation métabolique : en interagissant avec certains facteurs qui contrôlent l’expression des gènes ou en se liant à des récepteurs spécifiques, ces ACCC permettent de réguler la sécrétion d’hormones gastro-intestinales, ou d’inhiber la lipolyse adipocytaire.
«?La présence de microbiote change la capacité métabolique de l’hôte, orientant les nutriments vers le stockage », conclut la chercheuse en notant toutefois que « cette hypothèse n’est pas suffisante pour expliquer la totalité de la prise de masse grasse ». On envisage aussi que la fonction barrière de l’intestin soit altérée en cas d’obésité. Ce qui permettrait à des éléments d’origine microbienne de pénétrer dans la circulation sanguine et de participer à l’inflammation associée à l’obésité.
Des prébiotiques pour diminuer l’obésité ?
Le microbiote apparaît donc comme potentiellement néfaste dans le contexte de l’obésité avec un déséquilibre bactérien caractérisé par trop de Firmicutes et pas assez de Bacteroides.
Peut-on alors changer le microbiote via l’alimentation, en nourrissant spécifiquement les Bacteroides et favoriser ainsi leur développement? Pour le savoir, on a administré à des souris obèses des prébiotiques, qui sont des glucides non digestibles/fermentescibles (fructanes, arabinoxylanes) capables d’augmenter le nombre de bifidobactéries. Les résultats montrent une diminution de l’adiposité, la stéatose, la glycémie, l’inflammation et la prise alimentaire des souris. Et ces modifications s’accompagnent d’un changement du microbiote avec une augmentation pratiquement systématique du nombre de bifidobactéries. Chez l’homme, une étude d’intervention menée chez des patients obèses révèle que l’administration de 16g/jour de fructane a permis d’augmenter la sécrétion post-prandiale de peptides gastro intestinaux, qui va de pair avec une augmentation de la satiété.
Plus récemment, l’équipe de Nathalie Delzenne a réalisé une étude d’intervention chez des patients dont l’IMC est supérierieur à 35. Ils ont reçu soit un prébiotique (fructane), soit un placebo et ont été traités pendant 3 mois à 8 grammes 2 fois par jour. On observe dans le groupe prébiotique une diminution de l’IMC, du rapport tour de taille/hanche, de la masse graisseuse, du LDL et des CRP, qui sont tous des facteurs associés à l’obésité. Au niveau du microbiote, on ne note pas de changement révolutionnaire, mais on remarque des modifications de certaines bactéries très spécifiques dans les fèces : augmentation de bifidobactéries, actinobactéries et Faecalibacterium prausnitzii et diminution de Bacteroides vulgatus et propionibacteries.
Toutefois, « les études à ce sujet sont très peu nombreuses et ont été menées sur un nombre restreint de patients, modère Nathalie Delzenne. Il faut donc plutôt entrevoir ces données comme preuve du concept que certains nutriments – que l’on retrouve notamment dans les céréales, les fruits ou légumes et le lait maternel – peuvent avoir un impact réel sur la composition du microbiote et pourraient par ce biais améliorer certains paramètres marqueurs du stress métabolique associé au surpoids et à l’obésité ». Une fois de plus la nutrition semble l’emporter sur la supplémentation.
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