La loi Bertrand, quatre ans après… Les pratiques d’encadrement des experts ont-elles été suffisantes ou trop contraignantes ? Cette problématique a été traitée lors de la table ronde sur l’impact des normes relatives aux liens d’intérêt sur la recherche, organisée par le Sénat le 20 janvier.
Alain Milon, président de la commission des affaires sociales du Sénat, avait été invité avec deux autres sénateurs le 14 septembre dernier à visiter l’Institut Gustave-Roussy. Ces sénateurs y ont discuté avec des équipes de soignants et de chercheurs qui leur ont fait part des difficultés qu’ils rencontraient du fait du cadre législatif réglementaire actuel sur les liens d’intérêt jugés selon eux trop contraignants. D’autres spécialistes souhaitent au contraire renforcer cette réglementation. Mais tout le monde s’accorde sur la nécessité de lutter contre les conflits d’intérêt. Plus complexe, la question des liens d’intérêt pose celle de l’équilibre à trouver permettant le progrès thérapeutique pour le patient, et celle garantissant les intérêts des industriels. Il est une chose certaine pour Élisabeth Hérail, chef du service de la déontologie de l’expertise à l’ANSM : « On ne reviendra pas en arrière. L’Agence a trouvé un bon équilibre au niveau des textes. »
Des DPI inadéquates pour les chercheurs
Qu’en est-il dans une agence scientifique comme l’Inca ? Agnès Buzyn, présidente de l’Inca, insiste sur le fait que dans la loi sur la transparence, le volet recherche n’est pas soumis aux mêmes obligations que l’expertise sanitaire : « Beaucoup de chercheurs n’ont pas de lien d’intérêt avec les industriels. Par contre, ils peuvent avoir des conflits d’intérêt entre eux pour des raisons de compétition internationale. Du coup, les déclarations publiques d’intérêt (DPI) que nous leur soumettons sont très souvent inadéquates. » Et du coup de déplorer que les agences ont un vrai souci de qualité de l’expertise : « Nous ne pouvons pas la mener correctement car nous n’avons pas suffisamment d’experts en France ni d’experts internationaux qui n’aient pas de liens d’intérêt avec le sujet lorsque celui-ci est extrêmement pointu. »
Selon la présidente de l’Inca, le trépied Transparence des liens/indépendance des experts/qualité de l’expertise n’est pas assez équilibré. En France, on ne se soucie que de l’indépendance des experts. « Cette dérive vers une interprétation jusqu’au boutiste des liens d’intérêt comme un conflit rend l’expertise sanitaire très périlleuse. »
Chantal Belorgey (Inca) abonde dans le sens de Agnès Buzyn : « La charte de l’expertise scientifique du ministère de la Recherche ne va pas aussi loin que la charte de l’expertise sanitaire en matière de transparence, d’indépendance et de distinction lien/conflit d’intérêt. » Selon elle, l’analyse d’un lien doit se faire au cas par cas. Elle soulève la question très problèmatique du lien d’intérêt majeur du chercheur, investigateur coordonnateur d’un essai clinique dans un board pour un laboratoire. Celui-ci, alors qu’il est reconnu expert au niveau mondial, ne peut pas être expert des agences sanitaires.
Agnès Buzyn va encore plus loin : « On a d’une part des experts institutionnels dans toutes les agences et qui sont toujours les mêmes, et d’autre part des experts extrêmement professionnels que l’on ne peut jamais solliciter. »
Exemple cité par Alain Milon lors de sa visite à l’IGR. Les chercheurs de l’IGR lorsqu’ils doivent participer à une expertise doivent déclarer les liens d’intérêt de l’IGR, ce qui les oblige à déclarer des sommes qui sont bien plus importantes que celles qu’ils perçoivent eux-mêmes. Cette situation inextricable les empêche de devenir experts. D’où leur contestation de la loi Bertrand selon laquelle les experts des agences n’ont pas l’expertise suffisante car ils ne sont plus chercheurs.
ANSM, 18 000 décisions par an
Une autre agence est particulièrement concernée dans la déontologie, à savoir l’ANSM, qui a remplacé l’Afssaps après l’affaire Mediator. « En tant qu’agence de régulation, nous prenons 18 000 décisions par an, ce qui est énorme. Le processus de déontologie veille à assurer le processus décisionnel. Nous devons bien identifier les liens d’intérêt qui sont susceptibles de constituer des conflits d’intérêt. », explique Élisabeth Hérail.
« Je suis interdit de séjour car je fais partie d’un board », déplore Marc Tardieu, pour qui le lien avec l’industrie doit être analysé au sein du monde académique. Et l’industrie produit de la recherche de très haut niveau qui doit être valorisée par l’académie. Est-ce qu’un lien d’intérêt peut modifier les résultats de la recherche ? Le type du sujet de recherche dépend de la distribution de l’argent. En conséquence, certains champs de recherche ne seront pas exploités car non financés. Des sujets très compliqués comme la vaccination peuvent être également invalidés à cause des enjeux trop grands liés à ce sujet ou des passions en résultant. Certains praticiens hospitaliers qui font de la recherche ne reçoivent pas directement de rémunérations. Celles-ci sont versées à des fondations liées à leur hôpital. Mais selon Marc Tardieu, ce concept n’est pas totalement clarifié. En l’occurrence, l’hôpital ne s’occupe jamais de ce lien d’intérêt. Chantal Belorgey insiste sur la difficulté d’interprétation de ce qu’est un lien d’intérêt d’une agence à l’autre : « Nous aurions besoin d’un guide d’interprétation des liens et conflits d’intérêt dans les différentes agences sanitaires. »
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