Quelque 350 experts mondiaux de la greffe étaient réunis à Paris du 16 au 20 septembre pour introduire la xénotransplantation dans la classification internationale des rejets, à l’occasion d’un « Banff meeting », du nom de la ville canadienne où s’est tenue la conférence fondatrice en 1991. L’événement de cette rentrée était co-organisé par le Paris Institute for Transplantation and Organ Regeneration (Pitor) de l’Université de Paris.
Cette première classification des rejets de xénogreffe vise à définir et standardiser les critères de diagnostics complexes pour caractériser les différents rejets d’organes. Une « analyse fine des rejets de greffon » permet d’« identifier les bons traitements et les bons dosages », explique le Pr Alexandre Loupy, néphrologue et directeur du Pitor. La classification « ouvre une porte pour la pratique » afin que la xénotransplantation, une « solution » dans la lutte contre la pénurie mondiale d’organes, « devienne une réalité », poursuit-il.
Pour mener ce travail, les leaders mondiaux du domaine se sont appuyés sur les enseignements tirés des cas de greffes interhumaines, un domaine où « les connaissances s’accumulent depuis près de 20 ans », rappelle le Pr Loupy. Ils ont aussi exploité les données issues des quelques expériences de xénogreffes menées ces dernières années aux États-Unis. La dizaine de xénotransplantations réalisées s’est accompagnée de « très nombreux prélèvements », qui constituent une mine d’informations pour les experts. Si la Chine s’est lancée rapidement et « massivement » après les États-Unis, ses données sont « sous cloche », relève le néphrologue.
Un laboratoire français à la pointe de l’analyse des rejets
Après les xénogreffes réalisées aux États-Unis, les tissus ont été acheminés pour examen à Paris, où l'équipe de l’Université de Paris Cité/Inserm/AP-HP dirigée par le Pr Loupy a utilisé des outils de biologie moléculaire pour définir les critères de rejet. « On peut être fiers d’être le laboratoire de référence » dans le monde, souligne le responsable du Pitor.
Les premières xénotransplantations sont des succès mitigés, qu’il reste à convertir en succès tout court
Pr Alexandre Loupy, néphrologue et directeur du Pitor
La publication de cette première classification est attendue pour la fin de l’année ou le début de 2025. Ce premier travail sera « imparfait et perfectible », prévient le Pr Loupy. Dans les mois à venir, une nouvelle génération de xénotransplantations prendra en compte les nouvelles connaissances. Les premières expériences ont été des « succès mitigés » qui restent à convertir en « succès » tout court, résume le néphrologue. Les biopsies liquides (cfDNA) développées dans les allogreffes pour prédire les rejets seront appliqué à la xénotransplantation, anticipe-t-il. Et des éléments des classifications des rejets d’allogreffe et de xénogreffe devraient à terme être superposables, notamment « quand les cellules du receveur colonisent les greffons », ajoute-t-il.
L’analyse des xénotransplantations américaines et la définition d’une classification des rejets guident le développement de « cochon-médicament » de nouvelle génération. Les porcs génétiquement modifiés sont désormais porteurs de 69 modifications, contre une dizaine pour les premiers modèles. « Plus les cochons seront humanisés, moins il y aura de rejets », résume le Pr Loupy. À plus long terme, les outils de prédiction pourront aider à modéliser la défaillance d’organes et développer des cochons sur mesure.
Des xénogreffes en France à l’horizon 2027-2028 ?
Dans la révolution en cours, « une rupture médicale comme on n’en a pas vu depuis au moins 25 ans », selon le Pr Loupy, la France se prépare. Le pays ne dispose pas de cadre légal pour mener des expériences sur des personnes en état de mort encéphalique, comme ce fut le cas pour les premières xénotransplantations américaines. C’est une perspective « inconcevable » chez nous, commente le directeur du Pitor. L’orientation française relèvera sans doute d’une approche compassionnelle, poursuit-il, envisageant de premières tentatives « à l’horizon 2027 ou 2028 ».
En attendant, les équipes françaises mènent des réflexions sur la réglementation et l’éthique, tout en structurant un réseau et une filière à partir des expertises nationales. Au sein de l’Université de Paris, les chercheurs travaillent de concert avec des spécialistes des sciences humaines et sociales sur les enjeux d’acceptabilité.
Quant à l’idée de voir un jour s’implanter en France des fermes de cochons-médicaments, la bataille est « perdue », juge le Pr Loupy. Deux sociétés américaines, Revivicor et eGenesis, dominent le marché ; en Europe, si une équipe allemande travaille sur un modèle de porcs génétiquement modifiés, les résultats ne sont « pas excellents », poursuit-il. L’enjeu en France est plutôt de constituer une filière pour favoriser l’installation de ces entreprises dans le pays. Dans un modèle de gratuité, la question d’une adaptation du modèle économique se posera rapidement, un cochon-médicament coûtant environ 300 000 euros.
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