Recul du port du préservatif, couverture vaccinale insuffisante contre l’hépatite B et les HPV, paysage contraceptif en mutation, hausse des grossesses non souhaitées, tendance à la démédicalisation de la santé sexuelle… Les résultats de la vaste enquête (plus de 30 000 participants) sur les sexualités en France de l’Inserm et l’ANRS-MIE, qui a nécessité cinq années de travail, apportent des « informations utiles pour la prévention », alors que maladies émergentes et tendances sociétales entretiennent un « lien très fort », a estimé le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS-MIE, lors de la présentation de ce travail scientifique le 13 novembre.
Sur la prévention, l’état des lieux dressé par la 4e édition de l’enquête « Contexte des sexualités en France » (CSF-2023) est « préoccupant », résume Armelle Andro, démographe à l’université Paris 1. Après une hausse « frappante » au cours des années 1980 et 1990, en lien avec les campagnes de prévention, l’usage du préservatif lors du premier rapport sexuel recule depuis le pic observé au tournant des années 2000. Le taux plafonne désormais à 75,2 % chez les femmes et 84,5 % chez les hommes.
L’usage du préservatif lors du premier rapport sexuel recule depuis les années 2000
Le recul de l’âge médian au premier rapport sexuel observé dans les années les plus récentes « ne coïncide donc pas avec une plus grande protection des premiers rapports sexuels », est-il relevé dans une synthèse. La baisse actuelle « pourrait contribuer à l’augmentation des taux d’infections sexuellement transmissibles (IST) signalée depuis le début des années 2000 », ce qui « interroge les politiques de prévention actuelles », poursuivent les chercheurs.
La protection observée lors d’un rapport avec un nouveau partenaire apparaît également « très en deçà des recommandations » : en 2023, seuls 49,4 % des femmes et 52,6 % des hommes ont utilisé un préservatif à cette occasion.
Contre les HPV, l’écart hommes-femmes sur la vaccination se résorbe
Quant à la couverture vaccinale, elle reste « insuffisante », en particulier chez les hommes, dont « beaucoup ne connaissent pas leur statut vaccinal », indique Caroline Moreau, épidémiologiste à l’Inserm. Contre l’hépatite B, les taux de vaccination « ne s’améliorent pas chez les moins de 30 ans », relève-t-elle. Ils sont, en 2023, de 63,5 % chez les femmes de 15-29 ans et 52,9 % chez les hommes du même âge. La couverture chute à partir de 50 ans : moins de la moitié de cette population est vaccinée.
Contre les HPV, l’écart de vaccination entre hommes et femmes « se résorbe », souligne néanmoins l’épidémiologiste. La couverture atteint 61,3 % chez les femmes et 32,9 % chez les hommes du même âge. Mais, 16,8 % des jeunes hommes ne connaissent pas leur statut vaccinal et « ont pu avoir été vaccinés », est-il précisé. La couverture n’en est pas moins « en deçà du niveau atteint dans nombre de pays européens », ce qui incite à poursuivre les campagnes en milieu scolaire, « qui s’avère la stratégie la plus efficace », lit-on.
Un effet du dépistage gratuit chez les jeunes
Concernant les IST bactériennes, la prévalence en population générale – évaluée à partir des autoprélèvements effectués par les 5 735 participants volontaires de l’enquête – apparaît « peu élevée chez les moins de 26 ans » et « augmente rapidement » après, ce qui pourrait être une traduction de la politique de prévention qui cible les moins de 26 ans (dépistage gratuit et sans prescription), relève Caroline Moreau. Pour les infections à Chlamydia par exemple, la prévalence est plus faible chez les 18-25 ans (1,5 % pour les femmes et 1,6 % pour les hommes) que chez les 26-29 ans, qui échappent au dépistage (7,9 % et 4,4 %).
Sur les IST toujours, l’enquête s’intéresse pour la première fois aux infections à Mycoplasma genitalium en France. La prévalence est estimée à 3,1 % et 1,3 % respectivement chez les femmes et les hommes de 18-59 ans, « soit des prévalences comparables à celles observées dans d’autres pays européens », est-il souligné.
L’enquête se penche aussi sur la situation des personnes ayant eu des rapports sexuels avec des personnes de même sexe et les personnes trans, chez lesquelles la prévalence des IST est plus élevée, notamment parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) avec un taux de 2,4 % (contre 0,6 % en population générale). Le port du préservatif n’est pas plus répandu dans cette catégorie qu’en population générale.
Le dispositif intra-utérin devient la méthode la plus utilisée (27,7 %), suivi de la pilule (26,8 %) et du préservatif (18,6 %)
Une désaffection croissante pour la pilule
Côté contraception, le « paysage » est « en mutation », explique Caroline Moreau. Si la couverture contraceptive est globalement très élevée, le nombre de femmes de 19 à 39 ans sans contraceptif a plus que doublé, de 4 % en 2005 à 9 % en 2023. Surtout, les méthodes utilisées évoluent. Le dispositif intra-utérin (DIU) devient la méthode la plus utilisée (27,7 %), suivi de la pilule (26,8 %, contre 55,8 % en 2005) et du préservatif (18,6 %). Dans le même temps, les méthodes non médicalisées (retrait, calcul des dates, diaphragme) progressent et représentent 7,5 % des pratiques en 2023.
Ces résultats révèlent que la « désaffection » pour la pilule observée depuis 2005 « s’accélère depuis 2012 » avec la crise médiatique autour des pilules de 3e et 4e générations, met en contexte l’épidémiologiste. La tendance est particulièrement exacerbée chez les plus jeunes : - 17 points pour la pilule (de 54,3 % en 2016 à 36,6 % en 2023), + 8 pour le stérilet (de 10,9 % à 19,3 %), + 4 pour le préservatif (de 18,6 % à 22,3 %).
Par ailleurs, à l’instar de l’augmentation de l’incidence des interruptions volontaires de grossesse (IVG) constatée depuis 2016, les grossesses non souhaitées sont en hausse. En 2023, 34,7 % des dernières grossesses survenues dans les cinq ans sont non souhaitées (contre 28,9 % en 2016). Ce taux atteint 51,8 % chez les 18-29 ans (27,8 % chez les 30-49 ans).
Des pratiques d’auto-soins se développent pour le dépistage, la prévention des IST et le soulagement des symptômes de la ménopause
Une démédicalisation de la santé sexuelle et reproductive
Une tendance de fond est mise en lumière par l’étude : la démédicalisation de la santé sexuelle et reproductive. Outre le recours accru aux méthodes contraceptives non médicalisées, l’enquête souligne l’apport du numérique pour accéder à l’information : 75,0 % des femmes et 69,7 % des hommes l’ont déjà utilisé à cette fin, avec des différences générationnelles marquées. Cette autonomisation s’accompagne du développement de pratiques d’auto-soins : dépistage, prévention et traitement des IST/VIH, soulagement des symptômes de la ménopause.
Pourtant, l’acceptation sociale d’un accès à ces soins (avortement, contraception, traitement IST, etc.) en ligne reste modeste : de 10,1 % pour l’IVG médicamenteuse à 23,2 % pour la prophylaxie pré-exposition du VIH (Prep). Cette acceptabilité augmente « chez les personnes qui font face à des pratiques ou à des événements stigmatisants, tels que les hommes ayant des rapports avec des hommes ou les personnes qui ont subi des violences sexuelles », est-il indiqué. Ces résultats invitent à amplifier les outils numériques pour élargir l’accès aux soins.
Au-delà de ces premiers résultats, qui comprennent aussi une cartographie sociale des sexualités, des publications et d’autres analyses sont à venir, et notamment pour les Outre-mer (inclus pour la première fois dans l’enquête) ou le porno en ligne. Mais, d’ores et déjà, « on a du boulot », conclut le Pr Yazdanpanah, anticipant la nécessaire réflexion à venir pour des interventions de prévention pertinentes.
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