« Système exsangue », « discipline sinistrée », « conditions indignes » : autant de termes qu’utilise le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour qualifier le secteur de la psychiatrie en France. Après s’être autosaisie, l’institution publie le 27 janvier son avis 147 : « Enjeux éthiques relatifs à la crise de la psychiatrie : une alerte du CCNE ».
Après la publication par plusieurs instances d’une vingtaine de rapports et de nombreuses tribunes dressant tous le même constat, aucune action concrète qui soit à la hauteur de l’enjeu n’a été prise. « Face à ces alertes, il y a une banalisation, un déni d’une situation extrêmement grave », s’émeut la Pr Angèle Consoli, psychiatre, PU-PH à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et rapporteure de l’avis 147 du CCNE. Le comité appelle à la mise en œuvre rapide d’un plan Psychiatrie, reposant sur trois axes prioritaires : garantir l’accès à des soins psychiatriques dignes, lutter contre la stigmatisation et renforcer la formation et la recherche dans toutes les disciplines qui concourent à la prise en charge psychiatrique.
Une pénurie de moyens au détriment des patients
Les conditions d’accès dégradées, la pénurie de moyens, les inégalités territoriales engendrent de graves répercussions pour les patients, leurs familles et la société dans son ensemble. Avec de telles conditions de travail, la prise en charge des patients est tardive et trop souvent inadaptée. Sans moyens humains, émergent des situations de maltraitance, de non-respect des droits fondamentaux des patients. Par exemple, l’enfermement et la contention sont utilisés encore trop fréquemment alors que ces mesures doivent être de dernier recours. « L’accès aux soins dignes est un droit fondamental qui doit être garanti », assène la Dr Sophie Crozier, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et rapporteure de l’avis 147 du CCNE.
Fabrice Gzil, professeur associé de philosophie et d'éthique à l'Université Paris Saclay, aussi rapporteur de l’avis 147 du CCNE, relève un paradoxe : « Depuis le début de la pandémie, le sujet de la santé mentale n’a jamais autant été identifié mais aucune réponse solide et durable n’a été apportée ». Pour lui, les personnes concernées sont renvoyées à leurs difficultés dans « une forme d’altérité radicale », y compris par les professionnels de santé non spécialisés en psychiatrie.
L’accès aux soins dignes est un droit fondamental qui doit être garanti
Dr Sophie Crozier, neurologue, rapporteure de l’avis 147 du CCNE
La lutte contre la stigmatisation des patients en psychiatrie est un axe essentiel dans l’avis du CCNE, qui recommande de sensibiliser les soignants et la population générale et de renforcer les initiatives d’inclusion. « Nous avons fait ce chemin d’acceptabilité du malade dans le VIH, le cancer, mais pas en psychiatrie », s’afflige le Pr Jean-François Delfraissy, président du CCNE.
Une spécialité de moins en moins attractive
Le secteur de la psychiatrie est vieillissant avec une pyramide des âges particulièrement déséquilibrée et de nombreux départs à la retraite non compensés : l’attractivité auprès des étudiants en médecine baisse. En cause, les conditions de travail et les conflits éthiques et moraux qui entraînent une souffrance des soignants. Pourtant, « malgré ce constat alarmant, la psychiatrie est un domaine avec de nombreux atouts. Le secteur est dynamique, innovant », tempère la Pr Consoli, qui déplore que la discipline soit tout autant stigmatisée que ses patients.
Le CCNE invite tout d’abord à renforcer la formation médicale et ce dans toutes les disciplines en lien avec la prise en charge psy. « Auparavant, lors de l’externat, un stage en service de psychiatrie était obligatoire. Tout soignant, quelle que soit sa discipline, aura à traiter des patients malades psychiatriques dans sa pratique », explique la Pr Consoli. Le comité demande à diversifier la recherche : de grandes avancées en génétique et neurologie ont été réalisées mais trop souvent aux dépens de la recherche clinique et des sciences humaines et sociales.
La mobilisation politique doit être à la hauteur
Le CCNE juge que la situation est une « urgence nationale » pour les soignants et les patients et presse l’ensemble du secteur à se mobiliser. Un engagement qui nécessite « un soutien politique affirmé, des moyens financiers conséquents et une vision claire des réformes à engager ».
Si des mesures ont été prises depuis 2018, leur ampleur est largement insuffisante pour répondre aux besoins du terrain et compenser le retard considérable. Le CCNE exhorte à en faire plus. Reste aux pouvoirs publics de s’emparer du sujet. Les rapporteurs espèrent que la symbolique de l’avis, le tout premier du CCNE portant sur la psychiatrie, fasse enfin bouger les lignes.
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