Sans le dire, à la faveur de franchises, forfaits et déremboursements, l’assurance-maladie se positionne de plus en plus sur le financement des risques lourds – hospitalisation, ALD. Le débat est relancé sur la prise en charge des dépenses par le régime obligatoire qui, si elle reste stable globalement un peu au-dessus de 75 %, diminue fortement pour les soins courants et la médecine de ville.
NICOLAS SARKOZY lancera-t-il, comme il l’avait promis en 2007, le grand débat national sur ce qui doit relever de la solidarité nationale, des complémentaires santé et de la responsabilité individuelle. Qui paye quoi ? Le régime obligatoire doit-il se concentrer sur le gros risque, hôpital et ALD ? Et abandonner aux mutuelles et assureurs le « petit risque », terme controversé pour qualifier les soins courants et la médecine de ville ?
La crise a imposé à l’exécutif de mettre entre parenthèses ce sujet très sensible du financement de la santé. Il n’empêche… Les lignes bougent depuis des années, débat public ou pas. Une étude Jalma/CSA destinée à appréhender l’évolution du coût de la santé (cotisations complémentaires et reste à charge) dans le budget des ménages aboutit à des résultats édifiants. Ainsi, la part moyenne de la santé dans le revenu disponible est passé de 3,5 % à 5,4 % entre 2001 et 2009. La part du revenu allouée à la santé a donc augmenté de plus de 50 % en huit ans. Si, précise l’étude, la prise en charge globale du régime obligatoire « ne diminue que faiblement » [plus de 75 % du total des dépenses, un taux qui reste très élevé au regard des pays comparables], « l’accumulation de petites mesures pèse directement sur les ménages » et transforme pas à pas notre modèle d’assurance-maladie. Comme l’explique aussi Didier Tabuteau (lire ci-dessous), spécialiste des questions de santé et de Sécurité sociale, les dispositions qui s’additionnent (franchises, forfaits, baisses de taux de remboursement, dépassements non solvabilisés) se traduisent d’ores et déjà par un désengagement significatif de l’assurance-maladie obligatoire du financement des soins de ville (la prise en charge chutant à 55 % environ).
Lors de la discussion sur le projet de loi de financement de la Sécu, Éric Woerth a, pour la première fois, levé le voile sur l’évolution du périmètre de la solidarité. « Nous recentrons progressivement l’assurance-maladie sur le financement des dépenses les plus utiles médicalement », citant « la prise en charge à 100 % des patients en ALD ou encore l’accès rapide pour tous aux médicaments les plus innovants ». Tout récemment, le conseiller social de Nicolas Sarkozy, Raymond Soubie, est allé dans le même sens, constatant que l’ajustement sur le niveau de socialisation « se fait par petits bouts » (« le Quotidien » du 20 novembre). « Ce n’est peut-être pas très noble mais c’est acceptable », analysait cet expert des questions sociales.
En attendant le « grand débat », la question de l’avenir du système de santé et d’assurance-maladie provoque des initiatives de tout bord. Le Collectif interassociatif sur la santé (usagers) alerte l’opinion avec une consultation populaire en ligne (www.santesolidaireendanger.org) jusqu’au 31 janvier 2010. Et le groupe Générale de Santé (cliniques) vient de mettre en place un Observatoire sociétal de la santé.
Didier Tabuteau : « On est au moment de la bascule… »
LE QUOTIDIEN – Selon l’étude Jalma/CSA, les coûts de santé dans le budget des ménages – hors cotisations maladie – se sont envolés de 40 à 50 % en moyenne entre 2001 et 2009. Roselyne Bachelot conteste ce calcul qui ne mentionne pas les ALD et les CMU et répète que le reste à charge global augmente très peu. Que vous inspire ce débat ?
DIDIER TABUTEAU – Pour moi c’est un débat clé. Je vais publier prochainement un article qui s’intitulera la métamorphose silencieuse des assurances maladie. Pourquoi ? Le chiffre officiel, souvent répété, de 75,5 % de dépenses de soins prises en charge par l’assurance-maladie est trompeur. Il cache deux réalités qu’il faut distinguer : il y a d’un côté la prise en charge des ALD et de l’hospitalisation, domaines qui restent très largement remboursés entre 90 et 100 %, ce qui explique que le taux de prise en charge global par la solidarité se maintient entre 75 % et 77 % depuis les années quatre-vingt ; mais de l’autre côté, il y a les dépenses dites de soins courants, hors hôpital et ALD, pour lesquelles le reste à charge des ménages augmente très fortement. On a en réalité une très forte diminution du taux de remboursement des soins courants. Roselyne Bachelot a raison de dire que le reste à charge global reste stable mais les choses sont très différentes si on affine l’analyse.
Compte tenu de l’ampleur des déficits, le « recentrage » de l’assurance-maladie obligatoire sur les risques lourds n’est-il pas inéluctable ?
Non. Cest un choix politique pas économique. On peut faire autrement et maintenir une prise en charge solidaire sur l’ensemble des dépenses. Affirmer que les soins courants sont pris en charge par les assurances complémentaires, qui deviendraient d’ailleurs des assurances santé, et que le régime obligatoire se concentre sur les dépenses lourdes, aurait deux conséquences redoutables : premièrement, cela briserait le consensus très fort autour de l’assurance-maladie puisque 80 % de la population qui ne souffre pas de maladies graves ne verrait plus l’assurance-maladie pour le remboursement de sa médecine, ce qui casserait la logique de 1945 et signerait la fin de la Sécurité sociale à la française ; deuxièmement, cela serait très inégalitaire car les cotisations des complémentaires sont beaucoup moins proportionnelles aux revenus que ne l’est le financement de l’assurance-maladie.
Tout de même, peut-on imaginer que demain le régime obligatoire se désengage totalement de la médecine de ville ainsi confiée aux complémentaires ?
Non seulement on peut l’imaginer mais dans mon livre « Dis, c’était quoi la Sécu », qui est un scénario d’anticipation, j’explique que c’est la ligne de plus grande pente, le choix de la facilité. Il suffit de raboter l’assurance-maladie, petit à petit, par de nouveaux forfaits, franchises et dépassements… pour que ce schéma se mette en place sans besoin de faire une grande réforme !
Est-on en train de changer de modèle ? La méthode des forfaits et des franchises à dose filée ne permet-elle pas de rendre plus acceptables ces transferts ?
C’est la politique du salami ! On coupe des parts très fines de la Sécu pour que ce soit plus facile à avaler. Mais cette politique est contraire à la nécessité d’un débat démocratique pour des choix aussi fondamentaux. A-t-on déjà changé de système ? Je pense qu’on est au moment de la bascule. Hors ALD et hospitalisation, on est aujourd’hui parvenus à un taux de remboursement de l’ordre de 55 % des dépenses de soins courants, peut-être même moins, taux dont je réclame qu’il soit publié précisément. C’est déjà faible et cela montre en tout cas que la Sécurité sociale, en moyenne, est déjà très peu présente sur ces soins habituels. Si on continue sur cette voie, avec des dépassements en hausse, une déconnexion toujours plus forte entre le remboursement et les tarifs des actes ou dispositifs de santé, et enfin de nouveaux forfaits et franchises, on va passer rapidement de l’autre côté de la rampe ! Et on tombera en médecine de ville dans une espèce de « dentisterie » généralisée, au sens des prothèses, où le remboursement complémentaire est déterminant.
Selon l’étude Jalma, les Français semblent en partie résignés à de nouveaux désengagements du régime obligatoire…
Il ne faut pas confondre plusieurs choses. Je suis un farouche partisan de la maîtrise drastique des dépenses. Et dans cette régulation, il y a la gestion rigoureuse du panier de soins. Il faut avoir en tête qu’on fera évoluer le périmètre en permanence. Mais cela veut dire qu’il y a des choses qu’on ne rembourse plus et des choses nouvelles qu’on prend en charge. Cela ne signifie pas qu’on rembourse à 70 % puis 35 % puis 15 % des prestations nécessaires. Il faut mieux choisir et dérembourser totalement des choses qu’on n’estime pas indispensables plutôt que de raboter le remboursement de choses utiles. La création d’un taux pérenne de prise en charge de 15 % est absurde si l’on parle de médicaments qui ont une utilité. Encore une fois si on maîtrise férocement les dépenses, avec un effort d’organisation, je pense que les Français préféreront une augmentation mesurée des prélèvements obligatoires pour garantir la solidarité plutôt que d’entrer dans un système assurantiel. Ne l’oublions pas.
Faut-il réformer le régime des ALD qui provoque 80 % de la croissance des dépenses maladie ?
Il n’y a aucun tabou quand il s’agit de défendre la solidarité. Mais sur ces maladies graves, le sujet n’est certainement pas de moins rembourser mais de garantir l’efficience des protocoles et de la prise en charge des ALD. Si il n’y a pas assez de grain à moudre, il faut accepter de payer plus pour soigner les maladies graves.
Nicolas Sarkozy s’était engagé en 2007 à ouvrir ce débat sur le financement de la santé mais la crise semble avoir freiné ses ardeurs…
Pour ma part, je réclame un débat public national car la protection de la santé est le cur du contrat social. Les choix sont ouverts, certains défendent la concurrence entre les assureurs ; mais changer de système d’assurance-maladie subrepticement serait une monstruosité en terme de protection sociale… Ce n’est pas un débat en trois mois. Il faudrait un ou deux ans de pédagogie pour expliquer les enjeux. Après les gens choisiront. Moi, je ne serais pas choqué que ce sujet crucial pour la cohésion nationale fasse l’objet d’un référendum.
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