Au cœur de la crise du printemps 2020, ce fut un anniversaire discret. Sans doute au soulagement des premières concernées : les agences régionales de santé (ARS) ont fêté en avril leurs dix années d'existence. Dans la douleur.
Une décennie au cours de laquelle ces tutelles n'ont jamais su éteindre les critiques, les ARS étant jugées déconnectées, bureaucratiques et inféodées au pouvoir central, loin d'incarner la décentralisation de la santé rêvée par certains.
En donnant du grain à moudre à cet « ARS bashing », la crise épidémique a conduit les députés de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécu (MECSS) à se pencher sur l'avenir de ces préfectures sanitaires. Loin de vouloir les supprimer, les élus entendent faire le bilan équilibré d'une décennie d'action et proposer des pistes de réforme.
Facilitateur
C'est à la faveur de la « loi Bachelot » que les ARS sont nées de la fusion de sept services ou organismes de statuts divers, prenant la place des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) mais avec des compétences élargies — de la régulation de l'offre de soins à la territorialisation des politiques de santé, en passant par le pilotage unifié des secteurs ambulatoire, hospitalier et médico-social !
Sur le terrain, les libéraux ont vu l'irruption de ce bras armé de l'État comme une pierre jetée dans leur jardin. Et une instance privilégiant le secteur public. « Beaucoup d'ARS n'ont pas quitté leurs habits d'ARH », témoigne devant les députés le Dr Patrick Bouet, président du conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM). Le généraliste de Seine-Saint-Denis tance un fonctionnement « hospitalocentré » et « hyperadministré » qui bride les initiatives libérales. Au contraire, « l'ARS doit être un organe déconcentré de l'État et facilitateur des acteurs territoriaux », recadre le responsable ordinal.
« Elles ne connaissent pas notre manière de fonctionner, notre maillage », avance, dans le même registre, le biologiste François Blanchecotte, président du Centre national des professions de santé (CNPS, libéraux). Pour lui, comme pour son homologue de l'Union nationale des professionnels de santé (UNPS), le Dr William Joubert, l'Assurance-maladie doit rester le « partenaire principal » de la médecine de ville. « On a réussi en conventionnel à construire des réponses qui étaient jusqu'à présent de nature à ne pas désorganiser l'offre de soin », fait remarquer le généraliste du Mans. Le message des libéraux est clair : l'accompagnement oui, la régulation et la planification non.
Le coup de poignard de la réforme territoriale
La crise sanitaire a mis en lumière le côté « disparate » des ARS. Réactivité, communication, logistique : certaines ont été capables de changer de logiciel, d'autres n'ont pas été à la hauteur. « Pendant l'épidémie, toutes les ARS ont été présentes mais, à certains endroits, ça a frité » entre le terrain et la tutelle, se souvient le Dr Antoine Perrin, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP). « La gestion des ARS est trop souvent homme ou femme dépendante », souligne Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP). « Il y a parfois une perte de proximité entre les directeurs généraux et les établissements », regrette celui qui dénonçait, au début de la crise, le retard à l'allumage dans la mobilisation des cliniques.
Cet éloignement du terrain, la « mère » des ARS, Roselyne Bachelot, l'impute à la réforme territoriale de 2015 jugée « désastreuse ». Cette refonte, explique-t-elle, « est survenue cinq ans après que cette administration adolescente a été mise en place, a conclu ses réseaux et installé ses hommes et ses femmes. C'est un coup de poignard épouvantable porté dans le dos des ARS ». De fait, certaines agences pilotent des zones considérables, incluant des territoires très inégaux en matière d'accès aux soins. Pas simple pour faire du sur-mesure.
Besoin d'autonomie
Avec le Ségur de la santé, le gouvernement envisage une reconfiguration des ARS. L'objectif est de renforcer leur échelon départemental, au plus près du terrain. « Il faut une seule instance régionale avec des délégations de pouvoir vers les départements », salue Zaynab Riet, déléguée générale de la Fédération hospitalière de France (FHF).
Favorable à ce principe, le patron de l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes met cependant en garde contre un excès de réglementation. « Ce serait une grave erreur de vouloir légiférer sur la délégation à un moment où les ARS ont besoin d'autonomie, milite Jean-Yves Grall. La déconcentration ne se décrète pas, elle se pratique ». À la tête de l'ARS Bourgogne-Franche-Comté, Pierre Pribile alerte sur les moyens humains que nécessiterait un tel changement. « Si on veut être plus présents sur le terrain il faudrait revoir le plafond d'emploi et multiplier les compétences », explique-t-il. Une position difficile à défendre pour des agences critiquées pour leur suradministration.
La question du pilotage national reste posée. Bras armés de Ségur, on reproche aux DG d'ARS d'appliquer aveuglément les ordres de Paris, une verticalité qui passe de plus en plus mal dans les territoires. Beaucoup d'élus locaux, qui se sont révélés pendant la crise sanitaire sur les questions logistiques (masques, tests, vaccins), déplorent le peu de place qui leur est accordée dans la prise de décisions. Mais Olivier Véran l'a promis lors des conclusions du Ségur : « Nous voulons que dorénavant les territoires soient aux commandes ». Un pas vers la décentralisation ?
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