Sur les 54 amendements au projet de budget de la Sécu adoptés en commission des affaires sociales, c'est peut-être celui qui soulève le plus de vagues dans la profession.
Son auteur, le Dr Olivier Véran, député LREM et rapporteur général, a proposé, pour « désengorger les urgences », la création d'un forfait de réorientation des patients légers vers la médecine de ville. Son initiative, sous forme d'un article additionnel, a été adoptée en commission.
Concrètement, un médecin urgentiste ou une infirmière d'orientation identifierait les patients légers qui ne requièrent pas d'hospitalisation mais une simple consultation. Les hôpitaux percevraient alors un forfait de « 20 à 60 euros » selon les cas (intégralement remboursé par l'assurance-maladie), pour chaque patient réorienté vers une consultation de ville, une maison médicale de garde ou une consultation hospitalière spécialisée. Le patient adressé serait considéré comme étant dans le parcours de soins lors de son rendez-vous en ville. Une manière d'inciter les établissements à s'appuyer sur la ville pour « écrémer » les 23 millions de passages annuels dans leurs services d'urgences.
En se basant sur une enquête de la DREES (services des études du ministère de la Santé) qui montre que 28 % des patients admis aux urgences auraient pu être pris en charge par un généraliste le jour même ou le lendemain (sans examens supplémentaires), le député de l'Isère estime à six millions le nombre de personnes qui pourraient bénéficier chaque année de cette nouvelle filière (le patient pouvant toutefois refuser la réorientation).
Volée de bois vert
Non consultés en amont, les syndicats de médecins libéraux ont peu apprécié cette mesure. L'Union française pour une médecine libre (UFML-S) la qualifie même d'« insulte aux médecins libéraux et en particulier aux médecins généralistes ». Pour le jeune syndicat, il est inadmissible que l'hôpital touche en moyenne 40 euros pour une réorientation là où le généraliste qui prendra en charge le patient ne bénéficiera d'aucune majoration. « Les médecins libéraux sont méprisés par cet amendement comme au plus fort des années Touraine », s'offusque l'UFML-S qui appelle les libéraux concernés à « pratiquer un dépassement identique au forfait perçu par l'hôpital ». Le syndicat déclare se tenir prêt à défendre les médecins qui seraient attaqués si des plaintes devaient suivre.
Plus modérée, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) raille une « bien curieuse idée, digne du pays d'Ubu ». Le principal syndicat médical trouve étonnante la volonté de « financer une structure hospitalière pour qu'elle ne soigne pas complètement un patient ». Il s'interroge aussi sur l'effet réel que cette disposition aura sur l'embolie des urgences. « Comment imaginer qu'un directeur d'établissement préférerait facturer un forfait d'orientation plutôt qu'un forfait d'urgence qui lui rapporterait une somme bien supérieure ? » De fait, la Cour des comptes a montré qu'un passage aux urgences procurait en moyenne La CSMF propose plutôt la création d'un forfait de prise en charge d'une urgence de ville pour inciter les médecins libéraux à organiser la réponse aux soins non programmés.
Astreinte rémunérée
De son côté, MG France ménage la chèvre et le chou. Si le syndicat salue « une proposition qui a le mérite d'illustrer le coût de la régulation en matière de soins primaires », il rappelle qu'à la manière de monsieur Jourdain, les généralistes font depuis toujours de la régulation dans leurs cabinets « sans aucune rémunération fléchée ». En clair, le gouvernement devrait valoriser en priorité l'implication des libéraux dans la prise en charge des soins non programmés. Le syndicat de généralistes remet en avant la « généralisation du numéro d’appel dédié à ces demandes, le 116 117, distinct du 15 dédié aux urgences médicales », et la mise en place d'une astreinte rémunérée reposant dans la journée sur les cabinets de médecine générale.
Interrogé par « Hospimedia », le patron de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) Lamine Gharbi tire à boulets rouges sur la proposition Véran. « Le message envoyé à la profession médicale est pour moi scandaleux », fulmine le représentant des cliniques qui s'interroge aussi sur les enjeux de responsabilité. « Que se passera-t-il si le patient arrivé aux urgences est renvoyé en ville et fait un malaise durant le transport ou en salle d'attente du cabinet médical ? Qui est responsable ? »
À l'Assemblée aussi, la proposition a surpris les députés de la commission des affaires sociales. Beaucoup ont exprimé leur incompréhension devant une mesure qui vise à rémunérer l'hôpital pour des soins finalement prodigués par la ville. « Cela me choque un peu de décréter un forfait pour ce qui n'est rien d'autre qu'un refus, je n'y vois pas une mission de service public », analyse, un brin ironique, le Dr Jean-Pierre Door (LR).
Au-delà de la philosophie de cette mesure, des élus de tous bords ont pointé le manque de médecins généralistes disponibles pour mettre en place le dispositif sur le terrain, notamment dans les zones touchées par la désertification médicale.
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