« Le professionnel libéral est celui ou celle qui s’exerce son métier dans une relative indépendance, refusant toute ingérence de l’État et n’acceptant éventuellement qu’un contrôle limité de celui-ci. » Ainsi peut-on définir l’exercice libéral.
À l’heure où les techniciens des caisses « managent » déjà les médecins et feront peut-être demain leurs bulletins de paye, force est de nous rendre à l’évidence que, tel l’univers en expansion, nous nous éloignons à une vitesse vertigineuse de nos statuts initiaux.
Cette lettre que je vous écris est plus réaliste qu’amène.
J’ai bien évidemment pour vous le respect et la courtoisie qu’il convient d’avoir à l’égard d’un pair, d’un supérieur hiérarchique.
Je sais aussi qu’il n’est pas toujours aisé, tandis que les événements se bousculent, de saisir la balle au bond, surtout lorsqu’on ne l’attend pas.
Cependant, nous avons tous conscience que le temple vient d’être pillé et… vous en étiez le gardien.
Petit rappel des événements…
- Voyez-vous, j’ai eu l’impression de m’être assis dans une salle de cinéma et, à un moment, d’avoir raté un bout du film.
- Au début de la séance, aucune ombre ne planait sur notre quotidien, puis soudain, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, il a été question d’un projet de santé, qu’une ministre semblait vouloir imposer coûte que coûte ; de but en blanc cette dernière a annoncé : « Médecins libéraux, j’ai décidé de changer votre mode de rémunération. Désormais les CPAM vous régleront tous vos honoraires et pour les patients, l’accès aux soins sera gratuit. »
- Les syndicats, très vite, se sont mis sur le pied de guerre, des actions ont été menées, mouvements de grève, fermetures de cabinets, grève administrative, etc.
- La ministre a campé sur ses positions, faisant preuve d’une inébranlable conviction.
- À un moment, on a parlé de négociation, d’une table autour de laquelle les parties allaient débattre.
- On a semblé y croire !
- À ce moment, je me souviens m’être dit : les instances ordinales vont aussi se manifester, ne sont-elles pas là pour protéger la médecine libérale ? Elles vont exprimer avec fermeté leur position, affirmer leur veto et tout rentrera dans l’ordre.
- Mais la ministre a finalement fait fi de tout dialogue et de toute concertation. Il n’y a eu ni table ni négociation !
- Ensuite, le 15 mars, une ultime manifestation à Paris. Puis, tout est allé très vite… (c’est à ce moment que j’ai dû rater un bout du film).
- Le 10 avril, nous avons appris que la veille à 23 heures, 23 députés sur 35, venaient de trancher la tête de la médecine libérale… usant de la procédure d’urgence (un comble quand il s’agit de la médecine, et surtout qu’il n’y en avait aucune !).
Il n’aura pas fallu plus d’une poignée de mois pour déboulonner la vieille dame… on peut le dire aujourd’hui… en un temps record.
Voilà comment en un tournemain le pouvoir en place aura balayé une institution vieille de 80 ans sur sa seule initiative et sans aucune concertation avec les intéressés, se contentant d’avancer des arguments dont la véracité n’a pas été encore prouvée.
J’en arrive au cœur de ma lettre. Voici en deux paragraphes l’essentiel de ma réflexion. Dans le premier, vous trouverez des reproches et dans le second, des demandes d’explication.
Mes reproches au cnom…
Je reproche au CNOM de ne pas avoir effectué les manœuvres opportunes au plus fort de la tourmente.
1. Comment n’avez-vous pas, dès la présentation du projet, discerné au travers de la mesure du Tiers Payant Généralisé et de quelques autres, la fin programmée de la médecine libérale, celle de l’autonomie et de la liberté des praticiens désormais rémunérés par les caisses et non plus par les patients, comment n’avez-vous pas vu que cette mesure était idéologique avant d’être pragmatique, et en conséquence, pourquoi n’avez-vous pas expliqué à l’ensemble de la profession, avec clarté, les enjeux de la situation et ce qui menaçait désormais son mode d’exercice ?
2. Je vous reproche aussi de ne pas vous être manifesté avec plus de véhémence.
N’auriez-vous pas pu dire à la ministre :
« Mais ce que vous voulez madame, soyez claire, c’est la mort de la médecine libérale. Dites-le sans détour et sans tergiverser. Et si vous me dites oui, dans ce cas, je vais faire un référendum au sein de la profession. Ainsi vous saurez quel pourcentage de professionnels souhaite votre projet et quel pourcentage ne le souhaite pas. Il n’est tout de même pas superflu que vous ayez, sinon notre assentiment, du moins notre avis !
Et je vous invite aussi à être honnête avec les Français, les assurés sociaux. Le sujet les concerne pleinement et il est impératif qu’ils soient informés et que les mesures importantes leur soient explicitées, qu’ils connaissent les tenants et les aboutissants. Or rien n’a été fait dans ce sens ! Vous laissez les Français dans l’ignorance la plus condamnable. »
3. Nous sommes dans un pays où les médias sont libres et autonomes. Je ne comprends pas que vous ne les ayez pas sollicités pour exprimer votre position comme je ne comprends pas qu’ils ne se soient pas manifestés pour vous la demander.
Vous auriez pu aussi, puisque l’occasion se présentait, les alerter et exiger d’ouvrir un vaste débat, une sorte de grenelle de la santé afin que les vraies questions y soient posées et que l’on y réfléchisse ensemble, bien avant d’accepter en bloc un tel projet.
Monsieur le Président, à cet endroit de ma lettre, je m’interroge et je me dis :
Comme on n’imagine pas une seconde que vous ayez pu être complice du pouvoir, il ne reste que deux possibilités :
- Ou vous n’avez pas agi comme il fallait, en d’autres termes vous avez raté le coche.
- Où ils ont été implacables ! Votre interlocuteur, l’État, la ministre ont manifesté à votre égard un si grand mépris que vous n’avez rien pu faire !
Il n’y a pas d’autres explications que l’une ou l’autre de ces deux-là.
Comme durant les 80 années de son existence, a aucun moment, le conseil de l’Ordre n’a formulé le souhait d’aucun changement de ce statut de la médecine libérale ni œuvré d’aucune manière pour la faire disparaître, on peut être assuré que ce changement vous a bien été imposé.
Mais le fait que tout ceci appartient déjà au passé ne vous mais exonère pas de votre devoir d’explication.
Vous nous devez des explications… comme vous en devez aux assurés sociaux
Monsieur le président,
A. Vous devez, à l’ensemble des confrères inscrits au conseil de l’Ordre, des explications sur le déroulement des événements.
Il n’est pas normal ni compréhensible, qu’en présence d’un sujet si important, vous ne vous adressiez pas à chaque professionnel. Vous draper de silence et de dignité n’est pas une attitude suffisante. Le temple a été pillé.
Vous devez nous dire la position que vous avez aviez arrêtée face aux principales mesures du projet de santé.
Vous devez nous expliquer par le menu comment et pourquoi la ministre a réussi son pari et pour quelles raisons vous n’avez pas su ou pas pu lui faire barrage.
Vous devez aussi nous dire quels sont maintenant vos intentions, ou l’attente résignée des applications du projet ou la poursuite du combat et sous quelle forme vous entendez le faire.
B. À l’ensemble de la population, des Français, les assurés sociaux, vous devez aussi ces explications. La médecine libérale était leur médecine depuis longtemps et ils semblaient s’en accommoder. Vous étiez la garant de ses institutions.
Un profond changement structurel est survenu. Pris dans le quotidien de leur vie, très peu et très mal informés (chaque médecin peut le constater dans son exercice de tous les jours), nos patients, les assurés sociaux, n’ont pas pris la mesure de tous ces changements en attente, n’attrapant au vol que des bribes. Mais sur le fond, sont-ils prêts à ce que la médecine libérale soit rayée de la carte, ont-ils bien compris que, derrière le leurre de la gratuité, c’est cela qui va désormais arriver ?
Vous avez vis-à-vis de la population ce même devoir d’information.
Conclusion
Ma lettre est presque terminée et je ne voudrais pas l’achever sur le registre des reproches et des requêtes.
Le passe a vécu. Le futur est à construire.
Mais, de deux possibilités, il n’y a jamais qu’un seul choix possible.
Alors, Monsieur le Président, est-il plus noble d’accepter les flèches et les coups que le pouvoir nous inflige ou devons-nous nous armer contre ce flot qui monte, lui faire front et l’arrêter ?
Là est la question.
Car tant que les choses ne sont pas encore, elles peuvent toujours devenir ce que nous voulons, si nous le voulons vraiment.
Je vous prie d’agréer, monsieur le Président, l’assurance de mes respectueuses et confraternelles salutations.
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