Les patients obèses ne développent pas tous un diabète ni de pathologies cardiovasculaires graves, de même que les patients diabétiques ne présentent pas tous une insuffisance cardiaque. À l’inverse, certains individus a priori à faible risque vont avoir un infarctus du myocarde.
Comment coller au plus près de la réalité du risque cardiovasculaire pour un patient donné ? Puisque les facteurs de risque classiques n'en donnent qu'une approximation assez imparfaite et limitée, sur quels paramètres s'appuyer pour mieux prédire l'avenir et traiter au plus juste ?
C'est l'objectif ambitieux vers lequel tend l'Institut du cardiométabolisme et de nutrition (ICAN) à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), l'un des 6 pôles d'excellence en France. Pour y parvenir, l'institut hospitalo-universitaire (IHU) sort l'artillerie lourde pour revenir aux fondamentaux et revisiter la physiopathologie. « Il y a vraiment du nouveau, explique le Pr Stéphane Hatem, directeur de l'ICAN. De nouvelles relations de causalité sont apparues. La NASH (stéatose hépatique non alcoolique) par exemple, qui jusque là était considérée comme un indicateur de malnutrition et de maladie systémique, se révèle être bien plus que ça : elle a un impact direct sur les vaisseaux, le microbiote, le tissu gras et globalement le métabolisme ».
Vers un parcours patient plus global
En pratique, cette découverte a lancé l'idée d'un parcours patient dont le concept est la prise en charge en ambulatoire d'un ensemble d'explorations (diabéto, biologie, imagerie, cardiovasculaire, etc) afin de typer le risque métabolique et cardiovasculaire.
Les organes dialoguent entre eux, et, quand l'un d'eux commence à souffrir de perturbations métaboliques, les messages envoyés peuvent faire domino et déclencher des processus délétères à distance. « On revient vers une approche de globalité, développe le Pr Alban Redheuil, radiologue à l'ICAN. Cela nous pousse dans nos retranchements, car la médecine est encore basée sur les organes. Ces nouvelles données redéfinissent le périmètre nosologique des maladies ».
La physiopathologie cardiométabolique classique est bousculée. « Tout l'enjeu est de comprendre les vrais liens qui sont à l'interface entre les maladies métaboliques et le développement d'une maladie cardiovasculaire », résume Stéphane Hatem. L'interface peut se situer à différents niveaux : microbiote, tissu gras, muscle, foie ou encore système immunitaire.
Microbiote, gras épicardique
Le microbiote est l'une des pistes explorées à l'ICAN, notamment à travers l'étude européenne Metacardis qui a visé à stratifier le risque cardiovasculaire selon les gènes de la flore intestinale (le métagénome) dans une cohorte de plus de 2000 patients. Autre interface plus récente encore, l'ICAN a fortement contribué à mettre en évidence le rôle du tissu gras épicardique et autour des oreillettes dans le développement de la fibrillation auriculaire (FA). « Cette interface n'existait pas il y a encore 10 ans, souligne Stéphane Hatem. C'est un facteur important du remodelage atrial conduisant à la FA ».
Le système immunitaire est une piste toute nouvelle. « Certains macrophages tissulaires sont très sensibles au métabolisme, explique Stéphane Hatem. Des populations lymphocytaires, qui ont besoin du cholestérol et des transporteurs du cholestérol, peuvent, en fonction du métabolisme, devenir moins actives dans les processus de remodelage. Il y a probablement des échanges entre le tissu viscéral périhépatique et le tissu viscéral cardiaque. Le tissu gras est un très bon indicateur de l'état de stress métabolique et oxydatif ».
Des algorithmes d'IA pour prédire des trajectoires
Le cardiométabolisme est un moyen d'aller plus en amont dans le développement des maladies cardiovasculaires. « Il y a des données dans tous les sens, reconnaît Stéphane Hatem. Il nous faut les intégrer dans des algorithmes. Pour nous aider dans ce champ de l'intelligence artificielle (IA), l'ICAN a développé une collaboration avec Sorbonne Université ».
La construction de ces algorithmes n'en est qu'à ses débuts. Développer la connaissance des liens physiopathologiques, identifier des biomarqueurs et les tester en population, intégration des données (imagerie, métabolome, génome, métagénome, etc) beaucoup reste à faire. Une chose est sûre, « on est bien en train d'entrer dans l'ère du facteur de risque multiparamétrique », estime Alban Redheuil.
« Le but ultime est de décrire la trajectoire physiopathologique de chaque individu et de savoir où il en est de cette trajectoire, prédit Stéphane Hatem. L'idéal serait de le faire le plus en amont possible. Il faudra inventer une prise en charge médicale, qui n'existe pas encore, quelque chose à mi-chemin entre la médecine et la prévention ».