La question de l'impact sanitaire des essais nucléaires atmosphériques menés par la France en Polynésie est éminemment politique. Un important travail mené par des chercheurs du centre de recherche en épidémiologie en santé des populations de l'Institut Gustave Roussy et paru dans le « Jama Network Open » montre que cet impact serait faible, en tout cas en ce qui concerne l'augmentation du risque de cancer de la thyroïde.
Les explosions, qui ont eu lieu entre 1966 et 1974, ont relâché de grandes quantités d'iode 131, augmentant le risque d'apparition de carcinomes de la thyroïde. Toutefois, l'association entre les retombées des essais nucléaires et l'épidémiologie de cancer de la thyroïde reste un point de controverse.
En février 2021, une expertise collective de l'Inserm, qui avait constaté le manque de littérature scientifique pour les essais français dans le Pacifique, avait dû élargir son travail à ceux réalisés dans d'autres pays. La conclusion générale était que « les rares études épidémiologiques sur la Polynésie française ne mettent pas en évidence d’impact majeur (...) sur la santé des populations ».
Les mères, mémoires vivantes
Les chercheurs ont réalisé une étude cas-témoins, dans le prolongement d'une première étude publiée en 2010. Celle-ci comparait les niveaux d'exposition des cas de cancer de la thyroïde diagnostiqués entre 1984 et 2003 avec ceux des habitants non malades. Cette première étude avait nécessité une remise en état du registre local des cancers, resté en déshérence depuis des années. Environ 30 % des patients inscrits en doublons avaient dû être retirés, puis un nombre encore plus important de non-inscrits a été ajouté. Pour faire leur nouvelle étude, les épidémiologistes ont intégré les cas de cancers diagnostiqués jusqu'en 2016.
Dans un deuxième temps, ils ont affiné les doses reçues à la thyroïde des populations qui vivaient dans l'archipel entre 1966 et 1974, période au cours de laquelle se sont déroulés les 41 essais nucléaires français, comme le détaille Florent de Vathaire, épidémiologiste en santé des populations de l'Inserm et de l'institut Gustave Roussy. « Nous avons utilisé la méthode dite de "focus group" déjà employée par les physiciens américains au Kazakhstan, explique-t-il. Cela consiste à interroger les femmes qui ont eu un enfant au cours de cette période, car elles ont des souvenirs plus précis de ce qu'elles et leurs enfants mangeaient à cette époque. »
De plus, les chercheurs ont également pu exploiter les rapports déclassifiés en 2013 par l'armée française, qui contenaient des relevés dans le sol, l'air, l'eau, le lait et les aliments, dans toutes les îles de l'archipel. Ces documents, croisés avec les données issues des focus groupes, ont permis d'estimer que la dose d'irradiation moyenne au niveau de la thyroïde par habitant avait été de presque 5 mGy, alors qu'elle était estimée à 2 mGy auparavant. « Cela rejoint les données des chercheurs de l'université de Princeton », indique le chercheur.
« Cette étude est assez unique, commente Florent de Vathaire. C'est la première fois que l'on parvient, en s'appuyant sur de multiples sources, à reconstituer précisément les populations de l'époque, ce qu'elles mangeaient, là où elles vivaient et leur niveau d'exposition. » Différentes sources de données ont été exploitées : recensement, état civil et même des données météo issues de 13 stations, afin de reconstituer le parcours du nuage radiatif de chaque essai. « De plus, les populations insulaires de cette époque consommaient presque exclusivement des aliments produits sur place. Ce qui nous a permis d'atteindre une précision d'évaluation de leur niveau d'exposition qui serait inatteignable aujourd'hui », estime le chercheur.
Ont été inclus 395 cas, qui ont été comparés à 555 témoins, appariés selon l'âge et le sexe. À noter que 85 % des patients de l'étude sont des femmes, le cancer de la thyroïde étant une pathologie majoritairement féminine. Il n'y avait pas d'association significative entre le risque de cancer et l'exposition aux radiations produites par les essais nucléaires avant l'âge de 15 ans. Les épidémiologistes ont ensuite exclu les microcarcinomes unifocaux non invasifs. Il y avait alors une association entre la dose de radiation reçue et le risque de cancer, mais compte tenu des incohérences entre ces résultats et ceux de l'étude de 2011, les chercheurs ont estimé qu'il n'était pas possible d'en tirer des conclusions définitives.
2,3 % des cancers attribuables aux essais nucléaires
Mais, en appliquant un modèle mathématique défini par un comité des académies américaines des sciences (2006), les auteurs calculent que, pour l'ensemble de la population de Polynésie française, 29 cas de cancer de la thyroïde supplémentaires sont attribuables à l'exposition aux radiations produites par les essais nucléaires, soit 2,3 % des 1 524 cas de cancers diagnostiqués chez des habitants ayant vécu entre 1966 et 1974.
Le message de santé publique à tirer de ce travail est « rassurant », estime Florent de Vathaire : « Il y a certainement une augmentation du cancer de la thyroïde liée à ces essais, mais cette augmentation est faible. »
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