Un matin, à Paris. Dans le soleil paresseux d’automne, Olivia, infirmière, et Caroline, aide-soignante, sonnent au domicile de monsieur H.
Son épouse ouvre et les conduit dans le salon où dort le patient bercé par la musique de la radio. Les griffes d’un animal de compagnie crépitent sur le parquet. Malgré le lit médicalisé, la pharmacopée et le matériel médical, la pièce est habitée par une histoire. « C’est notre anniversaire aujourd’hui… », souffle sa femme. « De mariage ? », demande l’aide-soignante. « De vie commune », sourit l’épouse. Pause. Puis la discussion reprend sostenuto autour des médicaments. Comment apaiser les nuits du patient ? N’y a-t-il pas redondance entre ces deux médications ? L’infirmière ouvre le classeur où sont consignées les ordonnances, propose de modifier l’heure de prise médicamenteuse, en attendant d’en parler lors de la réunion hebdomadaire d’équipe afin que le médecin coordonnateur puisse si besoin ajuster le traitement avec le médecin prescripteur.
L’homme ouvre des yeux verts et intelligents. Vêtues d’un tablier plastique, l’aide soignante et l’infirmière commencent la toilette, en s’adressant à lui tout en maintenant le dialogue avec son épouse. Un mot sur le temps qu’il fait, sa passion pour le chant, des considérations amusées sur la montagne de coussins.
C’est Mme H qui a choisi l’HAD après que son mari a connu plusieurs mois d’hospitalisation, en concertation avec le neurologue. « Le médecin traitant, qui nous suit depuis longtemps, a accepté cette solution et bien que débordé, il se rend disponible pour quelques visites à domicile », explique-t-elle, reconnaissante. « Je voulais rentrer à la maison. Faire les allers et retours à l’hôpital, c’était épuisant. Y dormir, au-dessus de mes forces. C’est la même maladie. Mais ici, il y a de la vie. Notre vie. Les soignants sont chaleureux. Attentifs. Ils prennent le temps. C’est le care comme on dit », confie-t-elle. Elle a fait le choix, poursuit-elle, de vivre « recluse » avec son compagnon : « Je n’ose pas le confier à des amis. Cela me fait du bien de voir des gens. ». « Quand on rencontre les proches pour la première fois, on leur dit : vous n’êtes plus seuls », dira ultérieurement l’aide-soignante.
« Le souci, c’est en cas d’urgence ». Les mains de Madame H se tordent. Le souvenir frais d’un précédent épisode fait trembler la voix. « La neurologue m’a assuré qu’il n’y avait pas plus de danger à la maison qu’à l’hôpital », rationalise-t-elle. « Maintenant, je saurais quoi faire », espère-t-elle.
Anticiper, accompagner
Au-delà des soins, « notre travail, c’est d’anticiper l’urgence, les complications. De couvrir au mieux le moment où l’on n’est pas là », explique l'infirmière. L’équipe d’HAD a plusieurs outils à sa disposition, comme les prescriptions anticipées ou le projet de soins raisonnables. Parfois, l’équipe ouvre une discussion autour des directives anticipées. « C’est très délicat et cela ne peut être systématique. Nous nous adressons en priorité aux patients qui risquent de perdre la communication, comme les SLA », explique Jean-François Ruys, le cadre de santé de l’HAD ex-FXB.
Mais l’outil le plus précieux reste la formation et l’expertise des soignants spécialisés en soins palliatifs, pour lire les signes d’inconfort ou de douleur, prévenir une dégradation, repérer les symptômes de fin de vie, disent en chœur Olivia et Caroline, qui alignent les DU (soins palliatifs, mais aussi sophrologie, psycho-oncologie). Des connaissances qui leur ont permis le même matin d’intervenir auprès d’une patiente d’une maison d’accueil spécialisé (MAS) dont les gémissements semblaient exprimer une douleur. « Ce n’était pas le cas », rectifient-elles.
Tout l’art réside enfin dans l’appréhension de la singularité de chaque situation, car les soignants – le binôme n’est pas de trop – composent avec toutes les dimensions du patient, physique et psychique, familiale, sociale, professionnelle, spirituelle. « Nous voyons des personnes de plus en plus instables et complexes », observe Jean-François Ruys. « On voit aussi toujours plus de précarité, de solitude et d’isolement », poursuit-il.
« Nous poussons nos limites assez loin », dit encore Olivia. Il faut entendre que les équipes peuvent repasser chez un patient à la fin de leur tournée ; ou l’accompagner 3 heures durant ; ou ruser avec les auxiliaires de vie d’une personne isolée et immobile pour intervenir à domicile. « Notre limite extrême : que la dignité de la personne en vienne à être bafouée », nuance l’infirmière.
La loi et le terrain
Les membres de l’équipe haussent pudiquement les sourcils à l’évocation du plan Soins palliatifs 2015-2018 (pourtant lancé à la Fondation). « Pour l’instant, nous n’en avons pas vu les effets sur le terrain », résume Jean-François Ruys, tout en insistant, de concert avec la directrice médicale et médecin coordonnateur Valérie Huot-Maire, sur la nécessité d'avoir des moyens pour accueillir plus de patients et développer les formations. L’équipe spécialisée de la Fondation, avec ses 7 infirmières, 4 aides soignantes surdiplômées, son assistante sociale, sa psychologue et des liens forts avec les réseaux d'Ile-de-France, fait figure d’exemple. Ses responsables ont la quête du sens et de l’humanité chevillée au corps. « Les Soins palliatifs, c’est tout ce qu’il reste à faire quand il n’y a plus rien à faire », dit Valérie Huot-Maire.
Mais « la culture des soins palliatifs doit se diffuser au-delà », insistent les responsables. Dans toute l’HAD où la proportion de patients en soins palliatifs ne cesse de progresser. Mais aussi auprès des médecins traitants. « Nous avons du mal à trouver des médecins de ville qui acceptent de se déplacer à domicile », regrette Jean-François Ruys.
Quant à la loi Leonetti-Claeys : « pour l’instant, cela ne change pas nos pratiques. Mais nous avons de plus en plus de demandes de sédation voire d’euthanasie », constate-t-il. « Cela explose dans les unités de soins palliatifs (USP) », corrobore Valérie Huot-Maire.
À domicile, les freins sont non négligeables, à commencer par la difficulté d’assurer une surveillance. « Et le foyer est un lieu chargé. Parfois les patients, même s’ils ont demandé une sédation, n’arrivent pas à décrocher » témoigne Jean-François Ruys. « Pour autant, nous devons savoir répondre à d’éventuelles requêtes, en précisant notamment qu’il existe plusieurs types de sédation », indique Valérie Huot-Maire. Et d’attendre avec intérêt les résultats des travaux en cours de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) sur ce sujet.
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