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Dossier

Consommation du médicament

Antibiotiques : comment les réduire encore plus ?

Publié le 29/11/2019
Antibiotiques : comment les réduire encore plus ?

antibio
VOISIN/PHANIE

Malgré de vrais progrès, le mésusage des antibiotiques reste important en ville. Pression societale, contraintes de temps mais aussi manque de données spécifiques aux soins primaires : de nombreux éléments concourent à la surprescription. Autant de leviers pour améliorer les pratiques.

Prescriptions moins nombreuses et plus conformes aux recommandations, baisse des résistances, etc. Dans un rapport publié à l’occasion de la semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques, Santé publique France relève plusieurs tendances favorables en matière d’antibiotiques en ville (voir ci-dessous).

Pour autant, avec une consommation totale de 23,5 doses définies journalières pour 1 000 habitants, « la France reste l'un des mauvais élèves de l'Europe », soulignent les autorités qui appellent à « poursuivre les efforts pour réduire les prescriptions d’antibiotiques inutiles ou inappropriées ».

Alors que 93% des antibiotiques sont délivrés en ville, la médecine générale semble aux premières loges pour faire bouger les lignes. Selon les données de la littérature, environ 1/3 des antibiothérapies de ville ne seraient pas justifiées et 1/3 seraient inappropriées (molécules, durée du traitement ou posologies inadaptées), ce qui laisse en théorie une grande marge de progression aux praticiens. Mais dans la pratique, l’équation n’est pas si simple.

Un problème sociétal ?

Pour le Pr Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, le mésusage est pour beaucoup un problème culturel. « Ce n’est pas un sujet technique ou politique, mais éminemment sociétal », a-t-il déclaré à propos de l’antibiorésistance lors d’une rencontre du café Nile. L’ancien infectiologue, pointe notamment « le réflexe antibiotique » et plus généralement le « réflexe médicament » qui prévalent encore en France, avec une forte attente de traitement médicamenteux de la part des patients. En France, 90 % des consultations médicales se concluent par une prescription médicamenteuse contre 40 % dans les pays scandinaves.

Dans l’étude PAAIR 2 portant sur les situations à risque de prescription inappropriée d’antibiotiques en médecine générale, « la demande des patients est un des premiers facteurs de prescription », appuie le Dr François Liard, généraliste et membre du groupe médicament du Collège de la médecine générale. Pour faire changer les mentalités, les autorités remettent l’accent sur la sensibilisation du grand public.  

Le poids des incertitudes

Si le patient influence la prescription, les craintes et incertitudes du médecin pèsent aussi dans la balance. L’étude PAAIR 2 montre que le médecin a plus de mal à lever le stylo s’il « pense que le malade a un risque particulier », s’il « doute de l’origine virale de la maladie » ou encore « si le patient lui paraît fatigué ou très fatigué ». Alors qu’elle a reculé dans toutes les autres classes d’âge, la prescription d’antibiotiques continue d’ailleurs de progresser chez les plus de 65 ans, souvent considérés comme plus fragiles.

Pour « sécuriser » leur décision, les praticiens peuvent s’appuyer sur les recommandations et les sites internet d’expertise intégrant ces recommandations tel Antibioclic qui dépasse désormais les 10 000 utilisateurs quotidiens. « Mais les recommandations sont souvent un peu anciennes, ne font pas beaucoup de distinction entre populations de soins primaires et hospitalières et ne tiennent pas beaucoup compte des spécificités géographiques des populations », regrette le Dr Liard. Or, pour ne pas prescrire, « il faut pouvoir s’appuyer sur des recos actualisées adaptées à la médecine générale et qui comporte aussi un volet de non prescription », insiste le généraliste.

Dans l’angine par exemple, certains travaux suggèrent que l’on pourrait s’affranchir de l’antibiothérapie et certains pays ont déjà franchi le pas. La France ne pourrait suivre qu’à condition “ de n’appliquer ces recommandations de non prescription qu’en métropole où les complications liées aux angines ont disparu mais pas en Outre-mer ».
En attendant, le TROD angine reste un outil d’aide à la décision fortement poussé par les autorités et les société savantes, mais encore boudé sur le terrain. En 2017, seuls 40 % des généralistes en avaient passé commande. « S’il ne veulent pas le faire, les médecins peuvent maintenant le déléguer aux pharmaciens quitte à faire une ordonnance d’antibiotique conditionnelle », insiste le Dr Liard.

L’introduction d’autres TROD est aussi à l’étude et devrait faire l’objet de recommandations dès l’an prochain. également annoncée pour 2020, une fiche mémo précisera les durées de traitement les plus courtes possibles pour les infections courantes. La limitation des durées d’antibiothérapie fait en effet partie des actions prônées par les autorités, mais son efficacité réelle sur la diminution des résistances reste encore incertaine.

L’antibiogramme ciblé

Des mesures plus directives sont aussi dans les tuyaux, comme l’antibiogramme ciblé qui pourrait être effectif très rapidement. L’idée : continuer de tester l’ensemble des antibiotiques mais ne rendre les résultats que pour une demi-dizaine de classes. S’il n’a rien contre, le Dr Liard « doute que cela bouleverse les pratiques » dans la mesure où une grande partie des antibiothérapies de ville sont probabilistes. Des études ont toutefois montré que dans les infections urinaires, cela permettait de réduire l’utilisation des antibiotiques critiques.

Des recherches sont également en cours sur des marqueurs biologiques qui permettent de mieux discriminer infection virale et bactérienne.

Mais pour le Pr Éric Caumes (Pitié Salpêtrière, Paris) la question n’est pas là. « Le plus souvent, l’interrogatoire et l’examen du patient suffisent pour décider ou non d’une antibio-prescription. Cela demande toutefois du temps », précise l’infectiologue. « Convaincre le patient qu’il n’a pas besoin d’antibiotiques est chronophage », abonde le Dr Liard.

Pas étonnant que dans l’étude PAAIR, les médecins indiquent prescrire davantage en fin de journée.

Du mieux sur la ville

Après une hausse entre 2014 et 2016, la consommation s’est stabilisée. Entre 2009 et 2018, les prescriptions d’antibiotiques ont chuté de 15 %. L’amélioration est aussi qualitative. « On observe une augmentation de la consommation de b-lactamine et une diminution de celle des fluoroquinolones », se félicite SPF. Une tendance confirmée par les données de l’Assurance maladie sur la ROSP. En miroir, les résistances marquent le pas en ville. Pour E.coli, après une hausse entre 2012 et 2015, le taux de résistance aux C3G est passé de 3,4 % en 2016 à 3,2 % en 2018. Les résistances aux fluoroquinolones restent stables (10,4 %).


Bénédicte Gatin