Le 4 mars 2002, les députés votaient dans un quasi-consensus le dispositif de la loi Kouchner qui consacrait le droit aux malades. 10 ans après – et plusieurs ministres de la Santé plus tard – certains s’interrogent sur la nécessité de légiférer à nouveau. Xavier Bertrand en tête. Le ministre de la Santé déclarait déjà en décembre dernier dans nos colonnes vouloir « envisager une nouvelle étape, une nouvelle loi sur les droits des patients ». Cheville ouvrière de la réforme en 2002, Didier Tabuteau semble aussi de cet avis.
Mais, pour l’heure, l’urgence n’est guère ressentie chez les professionnels de santé et les représentants des associations de malades. À commencer par le Collectif Interassociatif Sur la Santé (CISS). « Les axes d’amélioration à mener sont sur l’effectivité des droits. Il y a un gros débat actuellement sur le fait qu’il faut une nouvelle loi, mais de notre côté, on pense qu’il faut, au contraire, consolider l’existant », explique son président, Christian Saout. Une opinion que partage le Dr Lucas, vice-président de l’Ordre des médecins. « Je pense que la loi Kouchner a été positive, elle a fait bouger les lignes, pas aussi vite que certains impatients le voudraient, mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire de légiférer. Nous avons actuellement tout le dispositif législatif, réglementaire et déontologique. Il faudrait même le simplifier », propose le vice-président du CNOM.
Dérives médiatiques
Les syndicats en 2002 avaient plutôt bien accueilli cette loi, mais avec quelques réserves pour certains. « Après l’adoption de cette loi, ce qui nous a ensuite inquiété, c’était justement l’importance qui était donnée aux associations de patients qui, certes, ont un rôle très utile, mais qui ont donné, peut-être, certains aspects excessifs. On a vu quand même des dérives médiatiques de certaines associations de patients dont les médecins ont souffert », rappelle le Dr Roger Rua, secrétaire général du SML. Au syndicat de Christian Jeambrun, « on se méfie des annonces », et on préférerait « ne pas ajouter une strate supplémentaire » à cette loi qui compliquerait « le travail des uns et des autres ».
Au final, beaucoup se contenteraient donc du bilan, positif de l’avis général, de la loi Kouchner. Ainsi que du « consentement libre et éclairé » de la personne malade face au choix de son traitement, principale innovation de la réforme, et de la possibilité de recourir à une procédure à l’amiable en cas de litige. La loi instaurait également un droit à l’information des usagers. Sur ce point, qu’on se rassure ! Le CISS, qui rendra public en début de semaine prochaine son baromètre sur les droits des malades, constate que la grande majorité des Français (80 %) s’estime bien informée (et même très bien informée pour 36 %) sur la qualité des soins reçus de la part des professionnels de santé. Dans le sondage du Généraliste, les médecins interrogés ne démentent pas?: 73% des confrères concèdent aussi que leurs patients sont mieux informés qu’avant.
Une population plus au fait des sujets de santé, gage d’un dialogue constructif avec son médecin traitant ? Claude Leicher le pense volontiers?: « L’accès à l’information du patient, c’est une évolution inéluctable et positive?; les patients ont plus d’informations qu’avant ce qui donne des échanges plus constructifs », estime le président de MG France. Avec le recul, ce changement dans le colloque singulier, dans lequel le patient devient plus actif, est, semble-t-il, très bien perçu par les malades.
Année après année, les relations des Français avec leurs médecins paraissent même se bonifier. D’après le baromètre du CISS, 88 % des sondés ont désormais le sentiment que leurs demandes et leurs attentes sont suffisamment prises en compte (dont 51 % tout à fait) dans la prescription des soins et traitements, contre 84 % l’an passé.
L’accès au dossier médical ancré dans le paysage
Mais le point le plus emblématique de cette loi du 4 mars 2002 reste le droit d’accéder directement à la totalité de son dossier médical. Depuis 1979, l’obtention des informations médicales ne pouvait se faire que par l’intermédiaire d’un médecin. À l’époque, le virage de 2002 avait laissé nombre de professionnels de santé et de politiques perplexes. Comme le rappelle Didier Tabuteau, qui a participé à l’écriture de cette loi: « Les débats étaient très vifs sur ce sujet. Certains craignaient que leurs patients mettent fin à leurs jours en découvrant ce qu’il y avait dans leur dossier », se remémore l’ancien directeur du cabinet de Bernard Kouchner. Aujourd’hui ce droit d’accès est plus sollicité par les patients dans le milieu hospitalier qu’auprès de leur médecin traitant. Il est en tout cas le point de la réforme Kouchner le plus facilement rentré dans les mœurs, comme le constate la Conférence Nationale de la Santé (CNS).
La communication du dossier médical « semble bien ancrée dans le paysage », peut-on lire dans son rapport 2011 sur le droit des usagers, paru en décembre. Le dossier médical serait même un peu « victime de son succès ». Selon le rapport, le nombre de demande d’accès au dossier médical, qui a considérablement augmenté, pose dorénavant des problèmes d’organisation et de délai pour les établissements du fait, entre autres, d’un manque de personnel. Le délai de 8 jours qui est inscrit dans la loi n’est pas tenu, constate la CNS.
Autre problème : le coût. Le rapport recommande que les prix facturés aux malades et aux familles, par exemple pour des photocopies, restent raisonnables. La question du dossier médical type mériterait aussi d’être repensée. Que doit-on mettre dans le dossier médical à la suite d’une consultation, pour que cela puisse être facilement transmis au patient quand il le demande, se demande ainsi la CNS dix ans après?
Une mauvaise connaissance des institutions
Reste, le deuxième volet de la loi, concernant la démocratie sanitaire, sur lequel finalement les choses pourraient le plus bouger. Le rapport rend notamment compte d’une mauvaise connaissance des institutions auxquelles les patients peuvent s’adresser. Un constat également observé par le baromètre du CISS. Alors que les trois quarts des Français (74 %) se déclarent bien informés sur les actions à mener en cas de problème suite à un acte de soins, que ce soit à l’hôpital ou chez le médecin, ils connaissent apparemment mal le fonctionnement des instances où les patients ont droit de cité.
Ainsi, les commissions chargées de traiter les réclamations et régler à l’amiable les litiges sont plutôt méconnues du grand public. Seuls 29 % des Français ont déclaré avoir entendu parler d’au moins une des deux commissions?: Commissions régionales de conciliation et de réconciliation (CRCI) et Commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQPC). La Présidente de la CNS, Bernadette Devictor, pointe également l’absence de texte législatif qui permettrait de définir « le financement de la démocratie sanitaire et la reconnaissance du statut du représentant des usagers ». Didier Tabuteau, dans l’entretien qu’il nous a accordé, estime aussi que c’est sur ces terrains là que de nouveaux droits sont à conquérir pour les patients.
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