Dépister les troubles obsessionnels compulsifs juvéniles
L E TOC (trouble obsessionnel compulsif) touche environ 2 % de la population générale et de 2 à 4 % des enfants et adolescents, ce qui signifie qu'au moins 200 000 jeunes en France souffrent de cette affection.
Selon les résultats de la récente enquête « ABC-TOC », réalisée par l'AFTOC (environ 500 dossiers analysés), le délai moyen entre le début du TOC et le diagnostic correct est de douze ans. Ce trouble est rarement reconnu par le patient et sa famille comme une « vraie maladie », et surtout caché et vécu comme une maladie honteuse. Pour plus d'un tiers, il a fallu consulter quatre médecins ou plus pour dépister le TOC. Seulement quelques centaines ou milliers de jeunes sur les 200 000 qui souffrent de TOC avérés sont actuellement soignés en France : cette donnée consternante doit inciter les experts à aider les médecins généralistes à mieux connaître et reconnaître ces formes particulières de troubles anxieux précoces. Les médecins généralistes, mais aussi les médecins scolaires, sont en première ligne en vue d'optimiser le dépistage et les soins nécessaires.
Pour un dépistage efficace du TOC
Dans l'objectif de faciliter le dépistage du TOC en médecine générale, une large enquête (« AR-TOC ») a été récemment réalisée en France et inclus environ 6 000 patients souffrant d'une anxiété résistante aux traitements classiques prescrits sur une période d'au moins un mois. Les résultats montrent une fréquence du TOC chez 45 % de ces patients : 31 % de « TOC probable » (présence d'au moins un indice de retentissement : détresse, perte de temps, handicap) et 14 % de « TOC certain » (présence de trois indices de retentissement). Par rapport aux autres anxieux résistants, les cas avec TOC étaient caractérisés par un nombre plus important de plaintes ainsi que de psychotropes à visée sédative, hypnotique ou anxiolytique. Pour le Dr Elie Hantouche, il s'agit d'un réel progrès dans ce domaine, car les praticiens disposent d'un outil fiable de dépistage ainsi que d'une condition clinique pertinente dans laquelle la recherche du TOC semble assez « rentable ».
Le TOC juvénile
Contrairement aux troubles survenant chez des adultes à priori structurés sur le plan de leur personnalité, le TOC (de l'enfant et de l'adolescent) va interférer avec la structuration et le développement de la personnalité. Les remaniements psychologiques, affectifs, sociaux, inhérents à la maladie (épuisement psychique, isolement social, focalisation autour des obsessions et des compulsions et désintérêt pour les études, les amis, etc.) peuvent profondément bouleverser le développement psychique et cognitif de ces jeunes en cours de développement. Donc, la reconnaissance du TOC juvénile permet une économie de plusieurs années de souffrance et une prévention des conséquences parfois irréversibles au niveau du fonctionnement et de l'adaptation psychosociale et affective du jeune patient.
Aspects cliniques du TOC juvénile
Une des caractéristiques du TOC est la ressemblance étonnante entre les formes juvéniles et celles de l'adulte. Des obsessions idéatives, phobiques et impulsives sont classiquement observées avec un contenu en rapport avec l'environnement de l'enfant (milieu scolaire, rapports avec les parents, premiers émois amoureux, etc.). De même, les compulsions de vérification du cartable pour « être sûr de ne rien oublier », ou du réveil (« angoisse de ne pas se réveiller et d'être en retard »). D'autres rituels peuvent conduire inéluctablement à un retard d'arrivée en classe chaque matin, donc punitions, heures de colle, colère des parents, montée de l'angoisse, aggravation en conséquence des TOC...
Dans ce cadre, les crises de rage et de colère sont très caractéristiques du TOC précoce, du fait de l'immaturité des instances psychiques chez l'enfant. Lorsque certains d'entre eux sont peu à peu submergés par les obsessions, obligés de répéter sans cesse des actes compulsifs éreintants et souvent masqués, l'angoisse sous-jacente n'est pas contenue en raison de capacités de contrôle moindres que celles de l'adulte : c'est alors l'explosion, les crises aiguës, souvent spectaculaires, de colère, avec insultes, bris d'objets. Ces colères se manifestent surtout lorsque les rituels sont perturbés, voire empêchés par un proche.
Le TOC juvénile est habituellement comorbide, avec des tics complexes, un trouble de l'attention, une dépression et parfois avec une bipolarité atténuée (cyclothymie ou épisodes hypomaniaques).
Suspecter un TOC juvénile
Il faut insister sur le fait que si les TOC sont aussi peu souvent diagnostiqués, c'est parce qu'ils sont la plupart du temps discrets, cachés même à l'entourage le plus proche. Il arrive ainsi fréquemment qu'un enfant décrive en consultation des symptômes obsessionnels compulsifs importants sans que les parents ou la fratrie ne s'en soient rendu compte.
Chez l'enfant, les troubles évoluent de manière parallèle à son propre développement psychique et cognitif. Il convient aussi d'évoquer la fragilisation narcissique inhérente à l'adolescence : « C'est la honte » d'avoir de tels symptômes, donc l'idée de se confier à l'entourage est le plus souvent vite écartée. Il existe alors un risque spécifique d'épuisement psychique après des mois, voire des années de lutte muette et invisible, tel qu'un passage à l'acte autoagressif.
Il faut donc apprendre au moindre doute à rechercher ces symptômes par de petites questions simples, telles que : « As-tu des idées, des choses qui te reviennent sans arrêt dans la tête ? », « Fais-tu des petites maniaqueries ? », « Est-ce que tu as des petites superstitions ? », « Est-ce qu'il y a des choses que tu sens obligé de faire ? ». Cette recherche est importante chez les enfants qui présentent des comportements ou des problèmes émotionnels apparemment atypiques ou inexpliqués pour les parents (encadré).
Le critère majeur est le retentissement sur la vie quotidienne du jeune. De fait, lorsque l'envahissement par les symptômes empêche l'intéressé de poursuivre une scolarité normale, des relations adaptées avec ses pairs, engendre une incapacité de s'adonner à des occupations normales de son âge car l'ensemble de son « temps libre » est occupé par les TOC... ces éléments justifient pleinement le diagnostic de TOC et, par conséquent, la mise en uvre d'un traitement.
De la neurobiologie aux traitements spécifiques
Le TOC est probablement le trouble le plus représentatif d'une étiologie psychobiologique. On a réussi à montrer la présence d'une hyperactivité de la boucle cortico-fronto-striatale par une analyse in vivo du métabolisme cérébral. Cette hyperactivité corticale apparaît proportionnelle à la sévérité clinique et au degré d'atteinte des fonctions cognitives. Enfin, un traitement médicamenteux ou psychologique permet de normaliser l'hyperactivité cérébrale en quelques semaines. Un dysfonctionnement sérotoninergique a également été démontré chez l'enfant, comme chez l'adulte souffrant d'un TOC. Les hypothèses étiologiques plus précises s'orientent vers un défaut du gène codant pour le transporteur de la sérotonine. La notion de vulnérabilité ou de prédisposition génétique est donc importante.
A la lumière des données récentes de la littérature, mais aussi de la pratique, les antidépresseurs sérotoninergiques (ISRs) ainsi que les thérapies cognitives et comportementales (TCC) sont performants, bien acceptés par les patients et bien adaptés au traitement du TOC juvénile. Par ailleurs, la thérapie de soutien que pratiquent de nombreux médecins généralistes s'est également révélée efficace.
Un algorithme simple et résolument pratique est proposé :
Traitement du TOC avéré = TCC seule, IRS seule ou la combinaison des deux (en même temps ou de manière séquentielle). Pour le choix de l'IRS, les experts recommandent les molécules sélectives (ISRSs) comme traitement de première intention. Actuellement, c'est la sertraline (Zoloft®) qui est le seul traitement approuvé en France dans le traitement du TOC juvénile (à partir de l'âge de 6 ans).
L'ajout d'un autre psychotrope est parfois utile pour potentialiser l'effet de l'IRS (pour rappel, l'effet d'un IRS sera jugé entre la 4e et la 8e semaine). Par exemple, une faible dose de neuroleptique atypique peut augmenter l'effet anti-TOC (notamment en cas de comorbidité avec des tics complexes). Un thymorégulateur peut être envisagé en cas d'échec thérapeutique lié à la présence d'une bipolarité associée.
D'après les communications des Dr Elie Hantouche (Paris), Dr Frédéric Kochman (Lille) et de Mme Isabelle Barrot (présidente de l'AFTOC)
Rôle de l'AFTOC
L'implication associative est un phénomène assez récent en psychiatrie et apporte un soutien, des informations particulièrement pertinentes pour les patients, mais aussi pour les médecins qui souhaitent recevoir des informations complémentaires sur la maladie. Pour beaucoup d'enfants, c'est le contact avec l'AFTOC (ou à travers des émissions de télévision) qui a permis aux parents de consulter et surtout d'identifier le TOC. L'AFTOC, présidée par Mme Isabelle Barrot est composée de membres bénévoles actifs et très efficaces. Ils sont actuellement plus de 1 200 membres adhérents. Pour les jeunes patients, le médecin pourra demander à l'AFTOC* des brochures et d'autres formes d'informations sur les TOC, qu'ils remettront ensuite aux patients et à leurs familles.
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