Le Généraliste. Comment est née cette réforme de 2002 sur les droits des patients qui, a priori, ne faisait pourtant pas partie des propositions de la gauche lorsqu’elle a remporté les législatives de 1997 ?
Didier Tabuteau. Le point de départ, c’est bien sûr le mouvement associatif à travers les associations de lutte contre le Sida ou l’AFM et le Téléthon. Le deuxième élément qui, d’ailleurs, avait commencé un peu plus tôt, c’est l’humanisation des hôpitaux. En 1974, la charte du patient hospitalisé en a été la première manifestation ; c’est par les droits des patients à l’hôpital que les droits des patients en général ont, pendant longtemps, été portés. Troisième facteur d’évolution, la jurisprudence, très impressionnante du Conseil d’Etat et de la Cour de Cassation à partir de la fin des années 1980 qui a servi de base théorique à la loi. L’action politique a pris le relais, avec l’annonce par Claude Evin en 1989 d’une politique de santé dont l’un des quatre axes était l’annonce d’un projet de loi sur les droits des malades et une communication en Conseil des ministres de Bernard Kouchner en 1993 sur le même thème. Puis les États Généraux de la santé ont, entre 1998 et 1999, réuni un millier de manifestations partout en France, imposant la revendication de l’accès direct au dossier médical. Lionel Jospin avait annoncé en clôture de ces États généraux le projet de loi sur les droits des malades. La loi fut ensuite adoptée dans un quasi-consensus. À quelques semaines des élections présidentielles en 2002, une telle unanimité mérite d’être mentionnée.
Dix ans plus tard, peut-on dire que les principales innovations de la loi sur l’accès au dossier médical ou l’indemnisation des patients sont respectées ?
D.T. Sur le premier point, je constate que le principe n’est plus débattu alors qu’il l’était fortement lorsque l’on a commencé à discuter de cette loi. Il y avait beaucoup de réticences. On disait que cela allait être une catastrophe, que les patients allaient être effrayés par ce qu’ils allaient apprendre. C’est pour cela, d’ailleurs, que la loi prévoit un délai de réflexion de deux jours avant d’accéder à son dossier. Aujourd’hui, il y a encore des difficultés pour consulter son dossier médical, mais plutôt pour des raisons administratives : dossier pas facile à retrouver, pas tout à fait bien tenu, etc. Pour ce qui est de la résolution des litiges, les procédures amiables des CRCI (Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation) se sont imposées et ont limité les recours contentieux. Finalement, on peut dire qu’il y a des choses qui ont porté leurs fruits assez vite, dix ans seulement après la loi.
La représentation collective des patients pose la question de la représentativité des associations. Sur quelle base objective peut-on décerner ce label ?
D.T. La force par exemple du Collectif Interassociatif sur la Santé (CISS), c’est justement de réunir des associations très différentes, que ce soit de malades, de parents d’enfants handicapés, de consommateurs, etc. La particularité de la démocratie sanitaire, c’est la diversité de ses composantes. Depuis 20 ans ce sont les associations qui sont porteuses de bien des éléments de changement dans notre système de santé. La loi a consacré leur rôle.
Xavier Bertrand appelle de ses vœux une seconde loi sur les droits des patients ? Est-ce votre avis ? De quels nouveaux droits les patients auraient-ils besoin en France ?
D.T. Il faut en effet, je crois, une deuxième loi sur les droits des malades. Sur l’accès au dossier médical, il faut sans doute garantir le délai d’obtention pour qu’en cas de nécessité médicale, pour un double avis, il soit le plus court possible. Il faut aller beaucoup plus loin sur les droits collectifs, donner une base à la démocratie sanitaire, en prévoyant notamment un financement public des associations de malades pour qu’elles ?puissent assurer la formation de leurs militants, et garantir leur indépendance. Cela suppose aussi une vraie réforme des Conférences régionales de la santé et de l’autonomie (CRSA) pour qu’elles deviennent un contre-pouvoir des Agences régionales de santé. C’est essentiel pour la démocratie sanitaire. Enfin, il me semble qu’un volet complet sur les droits sociaux est aujourd’hui indispensable : garantir l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire, diminuer le reste à charge, améliorer les conditions d’information sur le système de santé… Tout ce qui permet aux personnes d’exercer vraiment leur droit de protection à la santé doit être reconnu. Une loi sur le droit des malades aujourd’hui doit redéfinir les droits
sociaux des malades pour remettre en ordre notre système qui s’est progressivement effrité.
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