L ES craintes de contamination radioactive ne se sont pas envolées avec la fermeture définitive, en décembre dernier, de la centrale ukrainienne de Tchernobyl. La catastrophe de 1986 nourrit encore bon nombre de peurs et de fantasmes. Le quatrième colloque « Nucléaire et santé », qui se déroulera jeudi à la Maison du barreau*, sera notamment l'occasion de tirer un bilan médico-sanitaire - mais aussi médiatique et sociologique - de l'accident de Tchernobyl.
L'étude que présente le Dr Claire Schvartz (unité de médecine nucléaire et biophysique, institut Jean-Godinot de Reims) permet d'étudier la possibilité de relation entre les facteurs d'exposition et les cancers thyroïdiens apparus, depuis 1975, en Champagne-Ardenne, soit la région la plus vraisemblablement touchée par la catastrophe.
« Le premier constat que l'on peut faire, explique Claire Schvartz, c'est que l'augmentation, depuis 1976, des cancers thyroïdiens est linéaire. » Aucun pic ne se retrouve après 1986. Pendant la période 1975-1979, le taux d'incidence (pour 100 000 habitants) est de 1,04. Il passe à 1,84 entre 1980 et 1986, puis à 2,84 entre 1987 et 1995 et enfin à 3,05 en 1996-1997.
De nombreux facteurs de risque sont évoqués en ce qui concerne les cancers de la thyroïde ; mais actuellement, les radiations ionisantes sont les seuls agents dont la responsabilité a été clairement établie. Après la catastrophe de Tchernobyl, les autorités médicales de Biélorussie et d'Ukraine ont signalé, dès 1990, une augmentation importante de l'incidence des cancers de la thyroïde chez les enfants habitant dans les régions contaminées. Ce n'est pas le constat qui a été fait en Champagne-Ardenne. « Aujourd'hui, confirme Claire Schvartz, il n'y a pas d'argument pour dire que le nuage radioactif ait provoqué des cancers thyroïdiens en Champagne-Ardenne ». L'étude du nombre de cas de cancer diagnostiqués chez les enfants de moins de 15 ans (c'est-à-dire chez les sujets du même âge que ceux qui ont développé des cancers de la thyroïde autour de Tchernobyl) dans la Marne et les Ardennes permet, selon l'étude, « d'exclure une épidémie de cancers de la thyroïde » dans cette région.
L'Institut de veille sanitaire (InVS), qui a établi un rapport avec l'IPSN (Institut de protection et sûreté nucléaire), obtient les mêmes conclusions sur la France entière. Ce rapport, commandé par la direction générale de la Santé en janvier 2000, fournit un état récent des connaissances sur les conséquences sanitaires de l'accident de Tchernobyl. Selon les chiffres donnés par l'InVS et l'IPSN, l'incidence estimée du cancer de la thyroïde est passée, dans la population générale française, entre 1975 et 1995, de 0,6 à 3,1 pour 100 000 habitants chez les hommes et de 2,1 à 5,7 chez les femmes. L'augmentation des cancers thyroïdiens est observée avant l'accident de Tchernobyl et se poursuit après. Il existe une grande variabilité de l'incidence entre départements français : les taux les plus bas sont observés dans la Somme et le Doubs et les plus élevés dans le Tarn et le Calvados. Pourtant, les causes de cette augmentation, ainsi que les différences observées d'un département à l'autre, ne sont toujours pas établies.
Des doses faibles
Les doses moyennes à la thyroïde estimées chez l'enfant en France sont faibles, de l'ordre de 100 fois moins que celles reçues par les enfants de Biélorussie, note le rapport. « Pour ces niveaux de dose, l'existence d'un risque réel est incertaine, car on ne dispose pas d'observation épidémiologique mettant en évidence un excès de cancers de la thyroïde aux faibles doses et dans des conditions d'exposition équivalentes. On ne peut cependant pas exclure la possibilité d'un tel excès, en particulier chez les enfants. »
En effet, les enfants constituent une population beaucoup plus radiosensible que les adultes, s'agissant du cancer de la thyroïde. En raison du délai de latence entre l'exposition de la thyroïde aux rayonnements ionisants et l'apparition d'un cancer de cet organe, les retombées de l'accident de Tchernobyl en France ne peuvent pas être à l'origine d'un excès de cancers de la thyroïde sur la période antérieure à 1991.
Les auteurs du rapport ont donc calculé le risque à partir de 1991, selon deux périodes : 1991-2000 et 1991-2015. Pour ces deux périodes, le nombre de cancers de la thyroïde spontanés (sans exposition aux retombées de l'accident de Tchernobyl) a été estimé pour les enfants de moins de 15 ans résidant à l'est de la France. Sur la période 1991-2000, on obtient entre 0,5 et 22 cancers en excès pour 97 cas spontanés attendus, c'est-à-dire entre 0,002 et 0,1 cas pour 100 000 habitants et par an ; sur la période 1991-2015, entre 6,8 et 54,9 cancers en excès pour 899 cas spontanés attendus pour ces vingt-cinq années. Sur un plan épidémiologique, ajoutent les auteurs du rapport, ces valeurs d'excès de risque sont faibles, de sorte que leur mise en évidence paraît incertaine.
De toute façon, ces estimations ne permettent pas d'expliquer l'augmentation de la fréquence des cancers de la thyroïde dans la population générale constatée en France depuis vingt ans. Pour Claire Schvartz, cette augmentation du nombre de cancers diagnostiqués est liée à l'amélioration des moyens diagnostiques durant les dernières décennies, essentiellement l'échographie, de plus en plus performante et de plus en plus utilisée pour explorer la glande thyroïde. « Tchernobyl a effectivement eu un impact, commente-t-elle, dans la mesure où la population, comme le corps médical, est plus sensibilisée à ces maladies thyroïdiennes. »
* Auditorium de la Maison du Barreau, 2-4, rue de Harlay, 75001 Paris. Tél. 01.76.76.54.36.
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