Ce sont les irréductibles de la législature. Depuis 2009, une poignée de députés se relaient pour proposer des solutions radicales, censées faire reculer les déserts médicaux. En France, 600?000 personnes doivent faire plus de 20 minutes de trajet pour avoir accès aux soins médicaux », dénonce Françoise Tenenbaum. La Conseillère régionale de Bourgogne a fait parler d’elle récemment en proposant de mobiliser les vétérinaires pour épauler les généralistes... Mais elle développe aussi d’autres idées moins iconoclastes. Pour elle, si le problème n’est pas nouveau, la situation s’aggrave avec le vieillissement des médecins généralistes en exercice. « Les médecins qui partent à la retraite ne sont pas remplacés, poursuit-elle. Ils ferment leur cabinet sans qu’il n’y ait de repreneurs. »
Pour combattre ces déserts médicaux, une poignée d’élus multiplie, comme elle, depuis deux ou trois ans, propositions de loi, résolutions et amendements. Tous luttent pour que chaque Français puisse avoir accès aux soins médicaux où qu’il soit dans l’Hexagone. Et si leurs propositions divergent parfois, toutes ont en commun de tenter de proposer de réguler d’une manière ou d’une autre les installations. Aucune n’est parvenue jusque-là à convaincre la majorité au Palais Bourbon, mais, à droite comme à gauche, une centaine de députés au minimum y prêterait aujourd’hui une oreille attentive.
Le combat de ces élus militants ne date pas d’hier. En 2009, au plus fort de la discussion sur la réforme « HPST », les députés UMP Pierre Morel-A-L’Huissier (Lozère) et Marc Le Fur (Côtes d’Armor) avaient tenté d’amender la réforme de Roselyne Bachelot en y insérant des mesures de régulation. En vain, finalement, même si ces francs-tireurs ont donné du fil à retordre au gouvernement. Si la loi ambitionnait, entre autres, de résoudre le problème des déserts médicaux, elle ne contenait ni obligation de résultat, ni mesure réellement contraignante, hormis d’assez hypothétiques « contrats santé solidarité» dont le caractère contraignant est passé depuis à la trappe. « La loi Fourcade est venue vider la réforme de tout son contenu. Ce n’est pas une mauvaise loi, simplement une coquille vide », regrette le socialiste Christian Paul, député de la Nièvre et à l’origine d’un projet de «?bouclier rural?» en mars 2011.
Ce premier revers n’a pas entamé la détermination du lobby des cantons ruraux. Pour lutter contre les déserts médicaux, ils s’accordent d’abord à dire que le problème doit être réglé à la source. « À aucun moment, à la fac, on explique aux internes les conditions d’installation en zone rurale. Alors qu’en sensibilisant les élèves, on peut faire évoluer l’image qu’ils ont de la pratique du métier dans ces territoires?», déclare Pierre Morel-A-l’Huissier. En outre, « les généralistes sont peu valorisés comparativement aux spécialistes et les facultés de médecine portent une part de responsabilité », dénonce Véronique Besse, député MPF de Vendée. Cette villiériste est à l’origine d’une récente résolution parlementaire
« pour que les déserts médicaux soient une priorité nationale », signée par pas moins de 115 députés en octobre 2011.Heureusement, les mentalités évoluent. « La filière d’enseignement générale est revalorisée, ça devient une véritable spécialité alors que la discipline était dégradée au sens littéral du terme dans les universités », se réjouit Christian Paul.
Pour accélérer la revalorisation de la médecine rurale, l’expérience du terrain est une piste privilégiée. Pour de nombreux élus dont Véronique Besse, la prise de conscience passe par des stages obligatoires chez un généraliste. « Le dispositif existe mais il n’est pas appliqué. Pourtant, quand les étudiants font un stage chez un généraliste en zone rurale, ils changent d’avis sur la profession ».
Pierre Morel-A-l’Huissier compte aussi sur la médiation avec les responsables d’université
pour faire avancer les choses. « Il faut mettre les doyens de faculté et les professionnels autour de la table pour trouver des solutions. S’il manque quelques dizaines de médecins dans une zone, il me paraît possible, en accord avec les chefs d’établissement, de trouver des jeunes généralistes pour s’y installer », plaide-t-il.
Autre moyen avancé par certains élus de circonscriptions rurales : augmenter encore le numerus clausus. En 2012, il a été porté à 8?000. Pas suffisant de l’avis de Marc Le Fur. D’autres estiment que l’assouplissement n’est pas une solution miracle. « Ce déverrouillage est essentiel, mais il n’est pas suffisant, surtout que les mesures sont à effet différé », tempère Christian Paul.
Ils ne disent pas non aux incitations...
Pour lutter contre le manque d’attractivité des territoires ruraux, les élus de la France rurale ne disent pas non aux incitations. « Des aides à l’investissement et à l’activité ont été votées en mai, rappelle Jacques Pélissard, député maire UMP de Lons-le-Saunier. Il faut attendre au moins un an afin de voir si elles ont porté leur fruit. Si tel n’est pas le cas, alors il faudra aller plus loin, mais il ne faut pas se précipiter?», temporise celui qui préside l’Association des maires de France.
S’il espère que ces mesures attireront de nouveaux médecins dans les zones déficitaires, certains de ses confrères parlementaires peinent à s’en convaincre. « Les médecins touchent pratiquement 100 000 euros pour s’installer en zone rurale quand on cumule toutes les aides, calcule Pierre Morel-A-L’Huissier. Le contribuable n’est pas là pour payer l’initiative privée. » S’il n’est pas contre le principe des mesures incitatives, l’élu de Lozère considère qu’elles ne sont pas suffisantes. « Un médecin en zone rurale gagne presque deux fois plus qu’en zone urbaine, de l’ordre de 10 000 € net par mois. Ce n’est pas plus d’argent qui les fera venir. » L’aspect financier joue à la marge, convient aussi Marc Le Fur?: « Ce que veulent les généralistes, c’est du temps pour eux ».
Alors, que faire si les mesures incitatives ne marchent pas ? Véronique Besse à son idée. Elle propose de recourir à la médecine salariée. « Si une communauté de communes veut salarier un médecin, pourquoi pas ? Ça réglerait le problème localement. Il faut, en revanche, que ces mesures soient bien encadrées juridiquement et financièrement pour ne pas créer de concurrence entre les territoires et éviter que les médecins choisissent les villes en fonction de la rémunération proposée », explique-t-elle. Consciente que cette solution ne règlera pas le problème de fond, elle invite les médecins à s’installer plus tôt. « L’âge moyen d’installation est de 39 ans passés. En étant salariés, les médecins n’ont pas de charge et gagnent bien leur vie, on pourrait imaginer des mesures qui les pousseraient à s’installer plus rapidement. »
Et pour piloter ces différents projets. Pierre Morel-A-L’Huissier propose de nommer un ambassadeur de la médecine rurale au ministère de la Santé.
... mais « la liberté d’installation ne peut plus être absolue »
Mais, face à l’urgence de la situation, nombre d’élus excédés prônent le recours à des solutions plus radicales. « Il faut d’abord penser à la population et aux malades et trouver un équilibre
entre l’installation libre et les besoins. Pour cela, il manque une politique courageuse et volontariste », argue Christian Paul.?Le socialiste milite pour un plafonnement des installations dans les zones denses et une obligation de service en zone déficitaire dans les premières années suivant les études. « Cela pourrait se faire sous forme d’installation ou de salariat, ce qui serait moins contraignant », précise-t-il.
Un positionnement qui ressemble à celui de Philippe Vigier, auteur de la proposition de loi débattue hier à l’Assemblée et qui ne craint pas de remettre en cause la sacro-sainte liberté d’installation. « Ce que je dis depuis des années, c’est que la liberté d’installation ne peut plus être absolue au vu du sinistre sanitaire et social que représentent les déserts médicaux », lance l’élu d’Eure-et-Loir.
Plus modéré, Marc le Fur, opte pour un système moins contraignant. Mais une régulation tout de même inspirée du modèle infirmier. « On peut garder le principe de profession libérale tout en assurant un meilleur équilibre des installations sur le modèle des pharmacies. Cela consiste à dire que les médecins peuvent s’installer librement dans les zones surdotées, uniquement dans la mesure où ils remplacent un confrère. »
Encore faudrait-il pouvoir définir les zones surdotées. Les Agences régionales de santé sont en charge de cette mission. Mais, là encore, méfiance... « Tous les travaux préparatoires tablaient sur 20% de zones déficitaires. Suite aux injonctions du ministère de la Santé, les ARS ont ramené ces zones à 10% », s’indigne Christian Paul. Un sentiment partagé par Véronique Besse. « Je suis sceptique en ce qui concerne les chiffres provenant des ARS. Ce sont des cartes administratives et technocratiques éloignées des réalités du terrain. »
Les médecins ruraux «?n’en peuvent plus?»
Malgré l’énergie déployée par ces élus de droite comme de gauche, leurs propositions de loi ou amendements n’ont, jusque ici, jamais abouti. Les auteurs en nourrissent évidemment quelque rancœur. « Les syndicats de médecins font du lobbying pour conserver la totale liberté d’installation. Mais, à un moment, il faut être raisonnable et se rendre compte des enjeux pour l’attractivité d’un secteur et pour la santé des populations », réclame Véronique Besse.
« Xavier Bertrand a démissionné sur ce sujet face à un syndicat médical puissant, accuse Christian Paul qui vise la CSMF. La majorité ne s’est pas donné les moyens de régler le problème, même si certains de ses députés ruraux, comme Marc Bernier, sont montés au créneau. »
Fin de non-recevoir d’autant plus paradoxale que les élus des zones en question soutiennent que les médecins en exercice, notamment en zones rurales, sont favorables à des aménagements. « Si on commence à avoir peur, on ne fait rien. Il faut oser dire les choses. Les médecins déjà installés n’en peuvent plus, car il n’y a pas de solidarité dans la profession. Il faudrait que les internes prennent conscience que chacun est un maillon de la chaîne », insiste Pierre Morel-A-L’Huissier.
Malgré l’énergie jusque-là dépensée en pure perte, le lobby des élus engagés contre les déserts médicaux ne désespère pas. « La santé fait partie du top cinq des préoccupations des Français, j’espère donc que ça ressortira pendant l’élection présidentielle?», insiste Christian Paul.
Repenser la pratique du métier
En attendant, les élus de la ruralité ne baissent pas les bras. Comme Véronique Besse qui rappelle que l’exercice en structures collectives séduit les jeunes. « En France, on focalise tout sur les médecins. Il faudrait créer de véritables équipes de santé pluridisciplinaires regroupant infirmiers, aides-soignantes, kinésithérapeutes, équipes de soins à domicile et pharmaciens, remarque aussi Françoise Tenenbaum. La répartition des tâches permettrait d’enrichir les métiers, voire d’en créer de nouveaux. Les maisons de santé ne sont pas la seule formule. Cela peut se faire dans le cadre de pôles de santé ou dans des centres de santé avec des praticiens salariés. » L’adjointe au maire de Dijon pousse aussi pour le développement de la télémédecine et une meilleure coopération avec les centres hospitaliers. « Pour régler le problème des déserts médicaux, les médecins pourraient également être salariés d’une ville ou d’une communauté de communes, ce qui leur assurerait une rémunération ». L’élue avance également l’idée d’un exercice mixte où les médecins pourraient travailler pour un hôpital et à temps partiel pour une commune. Comme quoi la coercition n’est pas la seule obsession des élus de terrain...
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature