L A presse découvre, avec la recrudescence des conflits sociaux, que la combativité syndicale s'est accentuée, grâce à la très sensible réduction du chômage. Mais il n'est pas sûr que la vague des revendications, dont une traduction récente aura été la grève à la RATP jeudi dernier, soit liée seulement à la croissance.
En effet, il y a encore deux millions de chômeurs en France et il demeure difficile de trouver un emploi. En revanche, la mise en place des 35 heures a fait taire momentanément les revendications salariales, beaucoup de travailleurs ayant compris qu'ils ne pouvaient pas tout obtenir à la fois. Souvent, le gel des salaires pour une période déterminée était inscrit dans les accords de mise en place des 35 heures. Parfois il n'était qu'implicite. Dans tous les cas, il a été respecté ou non. Ce qui est sûr, c'est que l'inflation n'est pas nulle, que l'augmentation du temps de loisir encourage à la dépense et que, 35 heures ou pas, un revenu faible doit être augmenté un jour ou l'autre.
Un casse-tête
Pour les payeurs, c'est-à-dire les entreprises, c'est un casse-tête. Les 35 heures ont leur coût, assumé en partie par l'Etat, en partie par l'entreprise. Toutes les sociétés, privées ou publiques, qui se sont engagées résolument dans la réduction du temps de travail (RTT), ont calculé et prévu ce coût. Elles auraient voulu bénéficier d'un moratoire plus long sur les salaires, mais la RTT n'offre aucune amélioration du pouvoir d'achat.
Pour les transports publics et quelques entreprises nationales, comme La Poste, on a pu observer les conséquences de la RTT sur la qualité des services. On a pu voir aussi que, si les salariés des entreprises travaillent moins longtemps, ils travaillent plus, parfois jusqu'au stakhanovisme, dans le cadre des 35 heures. Ces effets indésirables ont été prévus et prévenus par des mesures d'accompagnement : les entreprises sont tenues, en principe, d'engager le pourcentage de personnels nécessaire à l'accomplissement habituel des tâches. Elles sont censées, pour cet effort, obtenir une compensation de l'Etat.
Mais, dans cette affaire, si les règles sont claires, les adaptations entreprise par entreprise ont fait l'objet de négociations. Telle direction n'a recruté qu'une partie du personnel nécessaire ; telle autre a refusé l'aide de l'Etat et s'efforce de faire des gains de productivité destinés à compenser les carences en personnels ; d'autres, surtout dans les services, sont parvenues à concentrer en 35 heures ce qu'elles produisaient en 39, quittes à réduire l'offre faite à leurs clients.
De sorte que les salariés qui, grosso modo, travaillent moins longtemps, mais davantage, se rappellent très vite que leurs salaires n'ont pas bougé. C'était à prévoir. Même si on reconnaît volontiers quelques vertus aux 35 heures, elles n'ont rien à voir avec le budget du foyer. D'où des revendications qui devaient fatalement ressurgir.
L'objectif du gouvernement n'était certainement pas de geler les salaires quand il a imposé la semaine de 35 heures. Simplement, les entreprises ont cru qu'elles pouvaient différer les augmentations durablement. Quoi qu'elles aient pensé, le moment des revendications est arrivé, ce qui fait grincer des dents bon nombre de directions qui estiment n'avoir pas encore digéré les 35 heures.
Tout cela, on pouvait l'imaginer dès le lancement de cette grande réforme sociale, qui n'est pas exactement un moteur de l'expansion économique.
Bien entendu, ces difficultés ne sont réelles qu'au niveau macroéconomique. Beaucoup d'entreprises peuvent faire face à la fois à leurs obligations sociales et à des hausses de salaires. Quand on apprend qu'Elf-Total a fait 50 milliards de francs de bénéfices l'an dernier, le meilleur résultat de toute l'histoire des entreprises françaises, on veut espérer que le pactole n'ira pas exclusivement aux actionnaires. Car cet argent est celui que les automobilistes ont payé aux pompes et qui a provoqué une révolte obligeant l'Etat à réduire de 20 centimes par litre son niveau de taxation. Le moins qu'on puisse dire d'Elf, c'est qu'elle a les moyens d'augmenter ses salariés et aussi de payer jusqu'au dernier centime la réparation des ravages du littoral provoqués par le naufrage de l'« Erika ».
Un double poids
De même, les salariés des biscuiteries de Danone sont fondés à s'opposer à une vague de licenciements décidée par l'entreprise, qui annonce pourtant des résultats florissants. Si ses biscuits ne se vendent pas, c'est peut-être parce que ceux qui en ont conçu la saveur et la consistance ont commis des erreurs, dont les salariés ne devraient pas être les victimes.
Mais ces deux cas, Elf et Danone, préfigurent ce qui va se passer en matière de salaires et d'emplois. Non seulement pour survivre, mais souvent pour rester à la tête du peloton, des entreprises pourraient licencier en prévision de résultats ultérieurs moins bons que ceux de l'année dernière. Quant aux autres, si elles sont prospères, elles devront accepter les demandes d'augmentations. Beaucoup en revanche risquent de craquer sous le double poids des 35 heures et des revendications. Alors même que le coût projeté des retraites dans la Fonction publique est faramineux (plus de 3 000 milliards de francs à l'horizon 2020, 40 % du PIB français d'aujourd'hui), alors même que la question du financement des retraites dans le public et dans le privé n'est pas résolue, alors même que le ralentissement américain commence à avoir des effets en Europe, alors même que nous continuons à avoir un déficit budgétaire, même s'il se réduit d'année en année, la conjonction 35 heures-revendications salariales risque d'avoir en France un effet explosif.
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