Sollicitations médicales des proches

Des soins entre empathie et danger

Publié le 16/10/2017
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soins proches

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Crédit photo : PHANIE

« Un médecin ne cesse jamais d’être médecin, même lorsqu’il a quitté son lieu d’exercice ». Cette idée profondément ancrée dans la population – et qui pourrait à première vue se révéler gratifiante – entraîne les praticiens dans un curieux manège : par tradition, amour, amitié, disponibilité, devoir voire pression, ils sont sollicités en tous lieux et en toutes occasions pour prodiguer des conseils médicaux. Certains « patients » souhaitent même plus : un diagnostic, une consultation, une prescription, un passe-droit…

Pourquoi une telle demande médicale dans des conditions le plus souvent mal appropriées à des soins de qualité ? Les proches mettent en avant la disponibilité du médecin, la facilité, la rapidité de prise en charge, la gratuité ou l’implication qui a priori pourrait sembler plus implicite des personnes émotionnellement proches.

Si les plus jeunes médecins – et parfois certains plus âgés – en retirent un sentiment d’utilité voire de fierté (on s’adresse à moi comme à un docteur de référence), ils peuvent, avec l’expérience, toucher les limites d’un exercice chronophage qui confond les rôles et expose à une perte d’objectivité.

L’article 7 du code de Déontologie médicale précise pourtant que « l’objectivité est nécessaire à l’action du médecin, elle s’accompagne mal de sentiments subjectifs ».

Quels sont les motifs de recours ?

Globalement, on distingue cinq grandes familles de sollicitations. Les proches attendent une réassurance, des explications, un soutien, des conseils et du professionnalisme.

- L’urgence :

C’est un motif de recours auquel le médecin ne peut se soustraire. Selon l’article 9 du code de la Santé publique en effet, « tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril… doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires ». Aux États-Unis et au Canada, devant le risque de mise en cause juridique, une loi dite « du Bon Samaritain » a mis en place les fondements des soins d’urgence pour les médecins qui portent assistance à des proches ou d’autres personnes.

- Le conseil :

C’est le motif de sollicitation le plus fréquent, en particulier dans cette période où les soins deviennent plus difficiles à obtenir rapidement en raison de la désertification médicale. Dois-je consulter, aller aux urgences ? Ce sont des questions qui peuvent revenir plusieurs fois chaque mois dans la vie d’un médecin.

Le conseil empathique doit être délivré avec fermeté. Il est souhaitable que les médecins aient préalablement pris un temps de réflexion sur cette question afin de pouvoir adopter une réponse adaptée aux proches, mais aussi à leurs confrères tout en respectant leurs idéaux de soignant.

- L’échange autour d’une pathologie et les secondes opinions :

Autre motif fréquent de sollicitations, l’échange autour d'une pathologie peut donner l’occasion au médecin de s’impliquer dans une relation individualisée tout en respectant les limites de l’intimité. C’est aussi une possibilité de vulgarisation, d’éducation sanitaire, un temps d’explications et d’échanges qui peut être bien plus long qu’avec le médecin traitant habituel.

Parfois, le recours aux sites médicaux permet de disposer d’informations écrites qui ouvrent secondairement des possibilités de discussion plus approfondies.
Reste qu’il est possible que le médecin se sente en contradiction avec le confrère soignant, en particulier lorsque le proche le sollicite pour une deuxième opinion. Dans ce cas comment rester confraternel et accompagner un être cher ?

- La demande de mise en relation avec des confrères de référence :

Avec l’hyperspécialisation des médecins et le manque de praticiens dans des domaines très recherchés, les médecins sont de plus en plus sollicités pour obtenir le nom d’un confrère de référence, une consultation dans des délais raisonnables, voire des passe-droits.

Référer le proche à son médecin traitant avec tact permet d’éviter un engrenage parfois délétère.

- Des soins hors cadre :

La demande de soins en dehors de tout cadre médical est l’une des difficultés à laquelle le médecin est exposé. Et pourtant, personne n’est à labri d’une cousine qui veut vous montrer un grain de beauté à la fin d’un repas de famille.

S’il paraît licite à un médecin de procéder à un examen clinique d’un proche, il doit s’assurer de le réaliser dans un environnement adapté (lieu, temps dédié…). Il doit aussi avoir accès à l’ensemble des informations du dossier médical et savoir que dans une relation proche certaines informations peuvent être biaisées par pudeur ou par peur du jugement.

Il est toujours possible de passer la main et de réadresser le proche à un confrère. Choisir de proposer une démarche active avec une consultation de même type que celle effectuée pour tous les patients à son cabinet ou dans un lieu dédié est aussi une possibilité.

Soigner ses proches : quels risques ?

Choisir de soigner ses proches c’est aussi savoir que cette pratique est à risque.

- D’une part, la déstructuration du lien familial est possible. Peut-on être l’enfant ou le père et le médecin de son patient ? Le risque de tension familiale et de fragilisation de la relation – même si les soins sont donnés avec le plus grand professionnalisme – doit être pris en compte.

- Le risque d’erreurs médicales est aussi majoré du fait du lien émotionnel entre le médecin et son proche-patient. Et le vécu de l’erreur est encore plus douloureux qu’avec les autres personnes soignées.

- S’imposer comme médecin de ses proches peut aussi être mal vécu par les confrères, et notamment ceux qui en avaient la charge auparavant. Les motivations d’une telle prise en charge sont souvent mal interprétées : défiance, non-confraternité, jalousie…

- Enfin, le risque juridique existe, même avec certains patients qui étaient jusque-là considérés comme des proches. Face à une situation extrême, il est difficile de prévoir par avance les sentiments de personnes que le praticien croyait pourtant bien connaître. Car ce sont avant tout des humains confrontés à la douleur, la colère, la peine…

Dr I. C.

Source : Le Quotidien du médecin: 9610