A UJOURD'HUI, 6 000 fillettes et adolescentes, âgées de 4 à 12 ans, doivent être mutilées sexuellement. Ce jour, pourtant décrété Journée mondiale des femmes, ne fait pas exception. Ni dans les 28 pays d'Afrique et du Proche-Orient où plus de deux millions de femmes sont excisées chaque année, ni en France où les mutilations génitales féminines - interdites par le code pénal et passibles de prison - concernent près de 30 000 femmes et fillettes.
Selon l'organisation non gouvernementale (ONG) Plan international France, les mutilations génitales concernent environ 130 millions de femmes dans le monde et une femme sur trois en Afrique. En Somalie, en Sierra Leone et au Mali, plus de 90 % des femmes sont excisées pendant leur enfance, au nom de la tradition et des coutumes ancestrales, indique Plan international qui parraine 1,2 million d'enfants dans 43 pays en développement. Le Groupe femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS) souligne, pour sa part, que les cas de mutilation se multiplient en Europe, mais aussi en Australie, au Canada et aux Etats-Unis, parmi les immigrants.
Depuis les années soixante-dix
Au 31 décembre 1989 (il n'y a pas de données plus récentes), on estimait qu'il y avait, en France, environ 20 000 femmes et 7 000 fillettes mutilées ou menacées de l'excision ou de l'infibulation, principalement dans les communautés sénégalaise et malienne.
Selon le GAMS, « on peut penser que le nombre de fillettes menacées a au moins doublé, sinon triplé depuis ». « Les premières fillettes excisées en France sont nées dans les années soixante-dix, explique au "Quotidien" le Dr Marie-Hélène Franjou, pédiatre et présidente du GAMS (1). En effet, à partir de 1975, une partie des travailleurs de l'Afrique hors Maghreb s'installent sur le territoire national et font venir leurs familles. Elles sont souvent originaires de la région du fleuve Sénégal qui s'étend sur trois pays (Mali, Mauritanie, Sénégal) et appartiennent à des ethnies susceptibles de pratiquer l'excision ».
Ces populations sont majoritairement installées dans les grandes villes : près de deux immigrés sur trois habitent une ville de plus de 200 000 habitants. Elles occupent en priorité l'Ile-de-France, avant la Haute-Normandie, le Nord, le Rhône et les Bouches-du-Rhône. Le Dr Franjou se souvient de la fin des années soixante-dix : « Quelques pédiatres de protection infantile reçoivent des petites filles d'origine africaine, nées en France ou en Afrique. Certaines sont excisées. Certains de mes collègues, méconnaissant cette pratique, évoquent une éventuelle malformation... D'autres, comprenant qu'il s'agit d'une mutilation, n'osent rien dire, pensant, le mal étant fait, qu'il n'y a plus rien à faire ». « Peut-être n'osent-ils pas en parler, poursuit-elle, en raison d'une vague culpabilité provenant de notre histoire coloniale ou par respect de cultures différentes de la nôtre. Rares sont ceux, dont je suis, qui osent voir que ces enfants, menacés d'excision, sont en danger de mort ».
Parler de « l'insupportable »
En juillet 1982, la petite Bobo, âgée de trois mois, fait une hémorragie à la suite d'une excision et décède à l'hôpital. La presse commence alors à rapporter « l'insupportable ». Douleurs, choc, hémorragie, rétention d'urine, ulcération de la zone génitale et lésions des tissus adjacents : la liste des complications immédiates des mutilations est longue. Une liste à laquelle on peut ajouter les dysfonctionnements sexuels et les problèmes pendant l'accouchement, dont les retentissements psychologiques sont immenses.
« Depuis 1982, la situation a beaucoup évolué en France et partout dans le monde, note avec espoir le Dr Franjou. Les familles savent aujourd'hui que l'excision est interdite en France et beaucoup (en Ile-de-France) commencent à comprendre les raisons de l'interdiction. C'est très important. Quand les parents ont compris, ils protègent leurs enfants en France, mais aussi ils en parlent lors de leurs retours en Afrique. D'ailleurs, notre action en France est indissociable d'une action dans les pays d'Afrique et du Proche-Orient. Les mutilations se pratiquent souvent lors des vacances dans le village natal ».
Déposer les ciseaux
Plan international a entrepris une grande campagne d'information au Mali avec le soutien de l'Association malienne pour le suivi et l'orientation des pratiques traditionnelles (AMSOPT), afin de sensibiliser les leaders d'opinion religieux, les aînés dans les villages et les praticiens de l'excision sur les conséquences de cet acte sur les femmes. Selon l'ONG, 25 exciseuses de Bamako ont accepté de « déposer les couteaux ».
Entre 1982 et aujourd'hui, notamment en région parisienne, la vingtaine de procès intentés à l'encontre de parents ou d'exciseuses a été l'occasion d'un large débat public. « Tout le monde sait désormais que l'on risque d'avoir des ennuis si on excise une fille sur le territoire français ». Signe que les temps ont changé, le Dr Franjou constate que le comportement des femmes qu'elle voit dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) est différent : « Quand je les interroge sur l'excision, elles sont inquiètes, mal à l'aise. Il y a vingt ans, elles s'exprimaient sans problème ».
Des lieux d'information
Souvent implantés dans les quartiers populaires, disposant d'interprètes, les centres de PMI sont très fréquentés par les familles originaires de l'Afrique subsaharienne, à l'occasion notamment des 20 consultations médicales préventives destinées aux enfants de moins de 6 ans. Ils constituent des lieux d'information privilégiés, de rencontre. « C'est là notamment que l'on crée des liens avec les mères et que l'on arrive à des résultats. Le problème resurgit quand l'enfant a 6 ans. La relève n'est pas assurée. Certaines familles attendent que l'on n'examine plus leur fille pour l'exciser. » Le service de promotion de la santé en faveur des élèves, c'est-à-dire la médecine scolaire, qui prend le relais des PMI à partir du cours préparatoire (CP), « n'a pas les moyens » d'assurer la protection des fillettes. Selon le GAMS, « il est très difficile, dans un établissement scolaire, d'examiner un enfant au niveau des organes génitaux ».
Et l'association de préconiser différents types d'action : « Il faut sensibiliser davantage les professionnels de l'éducation nationale. N'importe quel enfant va s'exprimer d'une manière ou d'une autre. Les petites filles qui sont inquiètes savent dire que la grande sur est allée au pays. »
Sensibilisation et information, éducation et assistance aux victimes : beaucoup de choses ont été et sont faites pour que cessent les mutilations génitales féminines. Les pouvoirs publics ont édité une plaquette d'information pour « protéger nos petites filles », rappelant la législation, les risques liés à de telles pratiques et « les adresses utiles ». Les préfectures disposent également de brochures.
Le Dr Franjou, pour sa part, regrette qu'au cours des procès « les peines aient été symboliques ». Elle rappelle enfin que le problème de l'excision « relève de la protection de l'enfance ». Bien que le sujet « soit difficile à traiter dans un cabinet libéral », elle suggère que « les médecins généralistes et les pédiatres travaillant en libéral soient davantage sensibilisés ».
(1) Le Dr Franjou doit intervenir lors d'une table ronde sur « Mutilations génitales féminines, ici et là bas », organisée le 15 mars, à 14 h 30, par Equilibres et Populations, dans le cadre du MEDEC qui se tiendra, au palais des Congrès, porte Maillot à Paris.
De graves complications
La forme la plus courante de mutilation sexuelle féminine est l'excision du clitoris et des petites lèvres, pratiquée dans presque tous les cas (80 %) ; la forme la plus extrême est l'infibulation (15 % des cas), qui consistent à compléter l'excision par l'ablation des grandes lèvres dont les deux moignons sont suturés bord à bord. La vulve est alors remplacée par une cicatrice fibreuse. L'ouverture vaginale disparaît pour laisser la place à un minuscule orifice pour l'écoulement des règles et des urines.
Pratiquée, selon les régions, sur des nouveau-nés, des fillettes ou des adolescentes, parfois sur des femmes adultes, l'excision répond, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à des facteurs psychosexuels, sociologiques, esthétiques, religieux, mythiques. On cherche, par exemple, à atténuer le désir sexuel chez la femme, à préserver sa chasteté et sa virginité avant le mariage. Pour d'autres, la mutilation sexuelle fait partie de l'héritage culturel et facilite l'intégration sociale. A tort, le motif religieux est souvent invoqué. Certaines communautés musulmanes croient en toute bonne foi que cette pratique fait partie de l'islam. Or elle est antérieure à l'avènement de la religion musulmane. Enfin, ce genre de pratique augmenterait la fécondation et uvrerait en faveur de la survie de l'enfant.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature