L ES transplantations d'organe avec incompatibilité des groupes sanguins du donneur et du receveur sont en général contre-indiquées en raison du risque élevé de rejet suraigu. Ce rejet se produit quand des anticorps sériques anti-A ou anti-B (isohémagglutinines naturelles) préexistants chez le donneur se lient aux antigènes correspondants sur les cellules endothéliales du greffon : il se produit alors une activation de la cascade du complément et une thrombose rapide du greffon.
Des transplantations avec incompatibilité ABO ont été effectuées occasionnellement avec le rein ou le foie, mais on a rarement rapporté des telles greffes avec le cur.
Les nouveau-nés ne produisent pas d'isohémagglutinines et les titres des anticorps anti-A et anti-B restent habituellement bas jusqu'à l'âge de 12 ou 14 mois. De plus, le système du complément n'est pas totalement compétent chez le jeune enfant. Donc, les facteurs qui devraient initier un rejet suraigu sont absents dans la petite enfance.
La transplantation cardiaque est pratiquée depuis une quinzaine d'année chez les nouveau-nés et les nourrissons porteurs d'une malformation cardiaque mortelle. La première série de trois enfants porteurs d'un syndrome du ventricule gauche hypoplasique ayant bénéficié d'une transplantation cardiaque orthotopique ont été rapportés en 1986 par Bailey. Depuis, les nourrissons représentent 40 % des transplantations de l'enfant. A la fin des années 1990, le taux de survie à cinq ans approchait de 80 %.
Des décès faute de greffons compatibles
Mais les petits enfants atteints d'une maladie cardiaque mortelle meurent souvent avant la greffe à cause de la pénurie de donneurs ; les enfants du groupe O (qui ne peuvent - actuellement - recevoir que des greffons O) sont très nombreux par rapport au nombre de greffons disponibles ; inversement, quand un greffon B ou AB est disponible, il est rare de trouver dans de brefs délais un receveur correspondant et ces greffons sont souvent inutilisés.
L'équipe de Lori West a donc imaginé qu'une transplantation ABO incompatible serait sûre pendant la petite enfance en raison de l'immaturité immunologique des receveurs. Elle a donc décidé, dans le cadre d'une étude, de faire une transplantation cardiaque chez dix enfants avec un greffon ABO incompatible, cela entre janvier 1996 et janvier 2000 (les résultats ont été comparés à ceux de dix greffes ABO compatibles).
Les enfants étaient âgés de 4 heures à 14 mois (moyenne : 2 mois). Les greffes incompatibles ont été réalisées avec échange plasmatique.
Le patient 2 a été regreffé en urgence en raison d'une plaie du greffon initial pendant le transport.
Des anticorps anti-A ou anti-B étaient détectés avant la greffe chez quatre enfants ; chez les patients 2 et 10 (âgés de six mois), ils étaient probablement d'origine maternelle ; chez les enfants 4 et 9 (âgés de 14 mois), ils étaient probablement naturels.
La durée du suivi a été de 11 mois à 4,6 ans.
Absence de rejet et taux de survie de 80 %
Aucun des enfants n'a présenté de rejet aigu ou de rejet chronique (atteinte des coronaires du greffon).
Le taux de survie global a été de 80 %.
Les patents 3 et 4 sont morts d'une cause a priori non liée à l'incompatibilité ABO. Le patient 3 (groupe O greffé avec un greffon A) a développé une hypertrophie cardiaque après greffe. L'examen post-mortem n'a montré ni rejet, ni anti-A ou anti-B, ni dépôt de complément. Le patient 4 (groupe O, greffon B) est décédé d'une pneumonie d'inhalation.
Les receveurs ABO incompatibles n'ont pas eu plus de problèmes chroniques que les autres après la greffe : on n'a pas observé de maladie lymphoproliférative, pas d'infections opportunistes sévères, pas de diabète ; la fréquence de l'anémie, de la leucopénie, de l'hypertension artérielle, de l'insuffisance rénale, des anomalies lipidiques et des difficultés d'alimentation ont été similaires dans les deux groupes.
Pas d'isohémagglutinine avant la greffe
Sur les 7 survivants qui ont toujours leur greffon original, six ne produisaient pas disohémagglutinine avant la greffe.
« Dans cette étude, soulignent les auteurs, nous avons trouvé que la transplantation cardiaque entre donneur et receveur incompatibles quant aux groupes sanguins peut être réalisée de façon sûre pendant la petite enfance. En l'absence d'anticorps contre les antigènes de groupe sanguin, il n'est pas survenu de rejet suraigu. »
Après transplantation, poursuivent les auteurs, il n'y a pas eu de production rapide d'anticorps, contrairement à ce que l'on observe chez l'adulte. Ce manque de production d'anticorps est probablement dû à l'immaturité de la réponse immunitaire. « Chez les enfants qui ont eu une transplantation avant le développement initial des isohémaglutinines, l'évolution clinique a été la même que chez les enfants greffés avec des donneurs ABO compatibles. »
« New England Journal of Medicine » du 15 mars 2001, pp. 793-800 et éditorial pp. 843-844.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature