Été 2009. Le virus de la grippe H1N1 est... sur toutes les lèvres. À mesure que les Français découvrent les bulletins épidémiologiques très médiatisés, le doute et l’inquiétude se propagent. Faut-il ou non se faire vacciner ? Que sait-on vraiment de ce virus ? Quelques mois plus tard, en décembre 2009, au plus fort de l’épidémie de grippe A,
406 000 nouveaux cas hebdomadaires étaient annoncés par les GROG (Groupes régionaux d’observation de la grippe) et 202 000, par Sentinelles. Un écart du simple au double relevé par une presse friande de données neuves sur la pandémie. Un peu gênant pour les pouvoirs publics, au point que l’Institut national de Veille Sanitaire (InVS) avait décidé à l’époque de consolider les données de chacun des deux réseaux avant de les communiquer. « C’est vrai que la publication de bulletins différents au moment de la grippe H1N1 en 2009 a apporté une certaine confusion auprès du grand public », reconnaît le Dr Magid Herida de l’InVS. Un avis également partagé par le responsable adjoint du réseau Sentinelles-Inserm, Thierry Blanchon, qui convient que les deux réseaux auraient gagné à « travailler plus tôt tous ensemble ».
Depuis deux ans, l’InVS a donc pris l’habitude de publier un bulletin épidémiologique qui fait, en quelque sorte, la synthèse des résultats obtenus par le réseau Sentinelles et par le GROG. Chaque hiver, près de 1 300 médecins généralistes libéraux, volontaires et bénévoles participent à l’activité de veille sanitaire mise en place par Sentinelles. Créé en 1984 par le Pr Alain-Jacques Valleron et animé par l’Unité Mixte de Recherche en Santé UMR S 707 de l’Inserm, Sentinelles a développé un travail de surveillance continue sur dix indicateurs de santé dont la grippe. Créé la même année, le réseau GROG, qui revendique son caractère associatif, couvre aujourd’hui 21 des 22 régions métropolitaines. Environ 550 médecins généralistes libéraux et une centaine de pédiatres sont chargés de confronter, d’octobre à avril, les données virologiques issues des prélèvements rhino-pharyngés et des données sanitaires. Seule la Corse manque à l’appel.
Un virus, deux méthodes
«Bien qu’on aimerait qu’elle soit supérieure, notamment dans les campagnes, la participation des généralistes est en constante augmentation », explique Thierry Blanchon. « Au départ, tous nos médecins étaient libéraux ; aujourd’hui, avec l’évolution de l’organisation des soins, de plus en plus sont salariés », précise le responsable adjoint de Sentinelles. Le réseau propose aux généralistes de participer, soit à un type de surveillance continue (grippe, asthme, gastro...) de façon bénévole, soit à une activité d’étude ponctuelle rémunérée. Si le médecin le souhaite, une combinaison des deux est possible. Plus concrètement, Sentinelles estime le nombre de patients consultant pour une grippe clinique, définie par une fièvre supérieure à 39°C d’apparition brutale, accompagnée de myalgies et de signes respiratoires. Il est ensuite exprimé en incidence (nombre brut de consultations en France) ou en taux d’incidence (nombre de consultations pour grippe clinique pour 100 000 habitants). « Nous ne surveillons pas exactement la même chose que le réseau GROG et les critères ne sont pas les mêmes », souligne le Dr Blanchon.
Le Grog fait de la virologie, Sentinelles travaille sur les données cliniques
Au GROG, le principe majeur de surveillance repose sur la confrontation du nombre de patients consultant pour une infection respiratoire aiguë (IRA) et des résultats des données virologiques émanant de l’analyse des prélèvements effectués par les médecins. Les IRA sont définies par l’apparition brutale de signes respiratoires (toux, rhinite, coryza) dans un contexte infectieux aigu (fièvre, asthénie, céphalée, myalgie). « La différence majeure avec le réseau Sentinelles, c’est que nous faisons de la virologie, alors qu’eux travaillent plus sur des données cliniques, explique le Dr Anne Mosnier, médecin généraliste et épidémiologiste, co-coordinatrice nationale des GROG. Nous ne surveillons pas que les patients dont la fièvre est supérieure à 39°C, c’est une des grandes différences que nous avons avec Sentinelles.?»
La méthode de collecte est, elle aussi, différente. Après inscription auprès du réseau Sentinelles, les médecins disposent d’un logiciel installé sur leur ordinateur leur permettant de rentrer toutes les données collégialement définies par le réseau. Les informations sont ensuite centralisées à l’Inserm à Paris. Le généraliste doit alors déclarer chaque semaine le nombre de cas cliniques qu’il a pu recevoir dans son cabinet, en prenant soin de les décrire : âge, sexe, vaccination, traitement prescrit, hospitalisation et complications. De leur côté, les vigies du GROG décident du mode de communication souhaité : téléphone, fax ou Internet. Comme l’explique le Dr Mosnier, « ce qui compte pour nous, c’est le taux de participation des médecins. Nous leur proposons en quelque sorte du sur-mesure ».
Autre particularité du GROG, les prélèvements. C’est un peu leur marque de fabrique, même si Sentinelles en réalise pour la Corse. Des prélèvements rhino-pharyngés sont en effet effectués par les médecins et envoyés à l’un des deux Centres nationaux de référence (Institut Pasteur à Paris et HCL à Lyon) des virus Influenzae ou à un des laboratoires de virologie travaillant avec le réseau. « Notre particularité se situe vraiment à ce niveau. Nous sommes également très proches des généralistes. Par exemple, au moment du SRAS, un certain nombre de médecins français se trouvaient à Hanoï et, une fois rentrés en France, ils ont accepté de subir eux-mêmes des prélèvements. Nous avons eu accès à ces données, car nous avions une proximité de terrain et de réseau très forte. » Une proximité que Thierry Blanchon (Sentinelles) reconnaît lui aussi. « Le réseau GROG est un réseau associatif avec une activité plus proche des médecins. Nous sommes moins bien implantés dans certaines régions, ce qui n’est pas gênant lorsque nous publions des résultats nationaux, mais qui le devient lorsque nous sommes attendus sur des tendances
régionales. » De leur côté, les animateurs des Grog reconnaissent « la pérennité du système Sentinelles et la force de leur méthodologie en termes d’études et de statistiques ».
Quand parler d’épidémie ?
Les deux réseaux complémentaires travaillent enfin avec un seuil épidémique différent. Il suffit de regarder les cartes de la semaine 7 de 2012 pour se rendre compte de différences régionales notables entre Sentinelles et GROG. A l’Inserm, ce seuil est calculé selon la méthode « Serfling » qui détermine le nombre de cas pour 100 000 habitants au-dessus duquel la situation peut être qualifiée d’épidémique. Le réseau national du GROG considère, pour sa part, que la détection des premiers virus retrouvés grâce aux prélèvements permet d’être en situation de pré-alerte. Celle-ci est confirmée par le franchissement du seuil épidémique, déclenché quand plusieurs virus grippaux similaires sont isolés dans des zones différentes d'une même région et lorsqu’au moins deux indicateurs d'activité sanitaire (dont l’IRA en médecine générale) sont augmentés de plus de 20% sans explication possible par un autre phénomène. Pour que le début d’une épidémie soit activé, il faut enfin que le dépassement de seuil se fasse sur deux semaines consécutives.
Sentinelles et GROG continuent de publier chacun de leur côté leur propre bulletin hebdomadaire. Pour combien de temps ? Avant même la pandémie de la grippe A en 2009 un travail de rapprochement était en cours, voulu par les pouvoirs publics. « C’est dans le contexte de préparation de la pandémie de 2007 que nous avons souhaité mettre en place le réseau unifié. Nous avions des données sur la grippe qui n’étaient pas homogènes et des estimations qui n’étaient pas assez précises. Il nous fallait donc mettre en place un réseau garant de meilleures données sur la grippe en mariant l’effort de ces deux réseaux », raconte Magid Herida.
Depuis, ce chantier de rapprochement se poursuit entre les deux réseaux. Les premiers bulletins du réseau unifié datent de décembre 2009. « Il y a eu une vraie volonté, du ministère de la Santé via l’InVS, des réseaux Sentinelles et de GROG de travailler ensemble. Nous avons beaucoup avancé sur ce point ; c’est d’ailleurs déjà le cas et nous en sommes à la dernière étape, c’est-à-dire à la publication commune des résultats », se félicite Thierry Blanchon. « Il n’y a pas de surveillance parfaite, mais c’est cette mise en commun du travail de nos deux réseaux, sous l’égide de l’InVS, qui permet une meilleure surveillance de la grippe », conclut Anne Mosnier.
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