L 'IDEE d'un regard sans vision renvoie à des affects positifs ou négatifs. Les mères elles-mêmes soulignent cette notion de regard, quand elles disent qu'elles sont capables de « caresser » des yeux leur enfant.
Pourtant, l'anxiété anticipatoire est fréquente chez ces mères ; elle ne doit pas être vécue comme un état pathologique, mais comme une préparation physique et mentale aux difficultés. En recevant précocement ces futures mères, il est possible de les aider à mettre en mots toutes les inquiétudes en relation avec le souhait d'être malgré tout « une mère idéale », à supporter les affects pénibles liés au souvenir d'une enfance dépendante, à résister au déversement des commentaires blessants, voire violents, de la famille ou de l'entourage au sens large.
Ce soutien psycho-médico-social se poursuit évidemment après la naissance. Par l'empathie qu'ils témoignent aux mères au décours des consultations médicales, les médecins de l'équipe leur donnent toute la réassurance dont elles ont besoin. Cette action est renforcée par l'existence d'un groupe de parole, animé par un médecin et une puéricultrice, qui joue un rôle essentiel dans la prévention du dysfonctionnement de la relation mère-enfant.
Des réponses pratiques
Les rencontres organisées par l'Institut de puériculture ont également pour objectif de donner des réponses pratiques, en trouvant le juste dosage de l'aide, ni trop, ni trop peu. Il est, en effet, important de ne pas faire les choses à la place des parents, mais de chercher avec eux la solution la mieux adaptée aux attentes de chacun, en utilisant tous les supports possibles. Certains textes servant de base d'échange sont transcrits en braille, mais cela n'est pas possible pour tous les sujets abordés, la retranscription étant trop volumineuse (une page d'écriture est égale à quatre pages de braille). De nombreuses actions ont été entreprises : enregistrement audio de sujets, tels que la prévention des accidents domestiques ; projection vidéo et transmission de l'image par la verbalisation sans empiéter sur les dialogues ; étalonnage de seringues pour l'administration de certains médicaments non manipulables dans leur forme galénique ; préparation de Dymo en braille pour une bonne reconnaissance des boîtes ; adaptation de jouets, d'imagiers, afin que les parents participent directement aux différentes découvertes faites par l'enfant de l'espace, différenciation de la « bonne » et de la « mauvaise » layette (éviter celle qui présente trop de lacets à manipuler pour préférer celle à scratch ou à boutons-pressions) ; conseils d'aménagement de l'espace de change et de bain ; démonstration de certains soins dans une sorte de corps à corps (le bébé, la maman et la puéricultrice). Il a été utile de microanalyser les gestes pour mieux les décrire et les transmettre.
La prise en charge de ces mères nécessite une bonne connaissance du handicap. L'aveugle accidentelle, si sa mémoire visuelle est encore active, se souviendra de la forme de certains objets ; en revanche, pour l'aveugle congénitale, qui intériorise des représentations qu'il est difficile (pour ne pas dire impossible) d'imaginer, c'est le tactile qui transformera la perception sensorielle en représentation visuelle. Quant aux enfants, ils savent s'adapter aux situations, comprenant que si la cuillère a parfois du mal à arriver à leur bouche, leur bouche peut se diriger vers la cuillère. La plupart des parents refusent de considérer leur enfant comme « une canne blanche » ou comme un serviteur ; face aux questions de l'enfant, ils trouvent toujours la réponse qui rassure.
Il ne faut pas pour autant banaliser le handicap de ces mères, parce que leur déficit visuel va rendre quotidiennement leur vie beaucoup plus compliquée que celle des voyants. Mais il est important de les considérer comme des visionnaires qui ont leur manière spécifique de regarder le monde et leur enfant, et surtout d'enrichir ceux qui se donnent la peine de les regarder, de les écouter avec une attention toute particulière.
D'après la communication d'Edith Thoueille (Institut de puériculture de Paris, 26, boulevard Brune, 75014 Paris) lors de la 2e Journée du GEN-IF (Groupe d'études en néonatalogie d'Ile-de-France).
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