Tribune Jean-Pierre Blum

Kléber Beauvillain, le capitaine quitte le navire

Publié le 08/09/2022
Jules Renard disait que « la modestie est le gant du talent » et Kléber – personne ne l’a jamais appelé autrement – ne manquait ni de l’un ni de l’autre. Il est parti vers d’autres cieux il y a quelques jours épuisants de chaleur, comme un signe du changement des temps. Peu de nos lecteurs, hormis les plus anciens connaissent son nom. Pourtant, il fait partie de la légende de l’informatique nationale et plus particulièrement dans la Santé. Il fait désormais partie du cercle des rares disparus indispensables. « Ne pleurons pas de l’avoir perdu, mais réjouissons-nous de l’avoir connu ».
A gauche assis Bill Hewlett. Kléber Beauvillain, penché au-dessus de son épaule.

A gauche assis Bill Hewlett. Kléber Beauvillain, penché au-dessus de son épaule.

49 à 7 000

Né à Loudun en 1935, mousse sur la Jeanne d’Arc, ingénieur électronicien de formation, golfeur invétéré, il est le dernier Homme à avoir été embauché en 1959 en France par Bill Hewlett (à gauche sur la photo), cofondateur de Hewlett-Packard Corp. (49 personnes). Il gravira tous les échelons pour enfin être nommé à la présidence de la société en 1977. Au moment de sa retraite, il laissera derrière lui une organisation forte de plus de 7 000 personnes et une marque de légende dont il était le digne représentant. Peu de dirigeants peuvent en dire autant.

HP Way

Fidèle à la philosophie des fondateurs, il fut le prosélyte constant de la singularité de l’entreprise, l’HP Way, qui conduisit plusieurs années durant à élire Hewlett-Packard « the worldwide  best company », « la meilleure entreprise au monde ». Pour mieux comprendre, les anecdotes sont foison comme autant de métaphores :

Destruction des chaînes qui empêchent aux employés d’entrer dans les locaux quand ils le souhaitent, Mise à disposition de machines à cafés gratuites en libre-service, mieux connu sous le nom de « Management by wandering around », mal traduit en français par « management en se baladant », Panneau au-dessus du siège du Patron, « la personne la plus importante dans cette pièce est notre client », Instruction donnée à la facturation interne de faire bénéficier ses clients de baisse de prix après que celles-ci soient annoncées, L’instruction formelle, « le plus efficace pour faire bien, c’est de le faire du premier coup », « Rendez ce que vous avez reçu » avec les emblématiques et précurseurs mécénats sans aucun but lucratif (plus de 600 millions de dollars courant via leur Fondation, la plus importante des États-Unis à l’époque) (Hôpital pédiatrique de Stanford, universités, écoles, musées, etc.), suivant ainsi le précepte d’Andrew Carnegie affirmant « qu’un homme riche qui meurt riche est un abruti », s’opposant ainsi à la légendaire cupidité du premier Rockefeller. Au nom du « Common » - le bien commun en français – si nous pensons qu’un brevet maison est utile au plus grand nombre, rendons-le accessible à nos concurrents et sachons être meilleurs qu’eux.

Epoque bénie des technologies pionnières, utiles, loin des arguties marketing et des effets de manche financiers.

Peu de personnes le savent, mais Kléber fut à l’origine de l’investissement mécénal dans l’architecture informatique du 115 pour le Samu social dont il organisa le déploiement et qui fut souligné par le président de la République.

Kléber, le gentilhomme

Nous ne saurions terminer cet hommage sans parler de l’Homme libre et tolérant que fut Kléber, et qui restera pour ses amis, un gentilhomme. Il disait souvent « Il faut savoir écouter, savoir percevoir d’où viennent les bonnes informations, celles des gens qui savent, quels que soient leurs postes, en interne ou chez les clients, être conscient que la réussite est affaire d’équipe, jamais d’un seul homme ». Toute sa vie, il aura été fidèle à ses convictions humanistes, se remettant en question - tout en bataillant avec force argumentations -. Il conseillait de toujours se préoccuper des autres, du sens des choses, du sens des technologies, en santé de l’usage des matériels, d’avancer en se formant, en apprenant.

Ceux qui l’ont connu se souviennent qu’il connaissait tout le monde dans « son » entreprise, qu’il discutait avec toutes et tous, de tout, même quand HP France fut devenu une grande organisation.

Il fait partie de ces pionniers de l’industrie française, à une époque où la parole d’un homme valait encore. Son « épaisseur » humaine, son enthousiasme, son sourire, sont légendaires, jamais feints, qui laisseront une indélébile trace. Un modèle citoyen au pays des lumières.

Nous perdons un « Bon Homme », son épouse Maï, sa famille, ses amis sont très tristes. Capitaine, Ô mon Capitaine …

 


Source : lequotidiendumedecin.fr