De notre envoyé spécial aux Etat-Unis
D ES 1997, BMS créait le département de génomique appliquée, dirigé aujourd'hui par E. Sigal, et qui a tissé un réseau d'alliances avec des sociétés spécialisées dans la génomique et les technologies associées (Affymetrix, Millenium, Whitehead Institute ...). Si cette démarche ne se limite pas aux cancers, c'est bien en oncologie que la pharmacogénomique fait l'objet des recherches les plus intensives et des espoirs les plus grands, au sein de BMS. Pourquoi ?
Tout d'abord parce que, globalement, c'est en cancérologie que le taux de succès des traitements est le plus faible (25 % contre 60 % pour la dépression et 80 % pour l'analgésie). Comme le souligne E. Sigal, on a donc besoin non seulement de découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques, mais aussi de reconnaître les sous-groupes de patients répondant ou ne répondant pas à tel traitement. A tous ces stades, la pharmacogénomique annonce des révolutions, à commencer par l'apport de nouvelles cibles moléculaires : E. Sigal estime que l'avènement de l'ère postgénomique a fait passer le nombre des cibles thérapeutiques de moins de 500 à plus de 30 000. Ce qui demandera un énorme travail de screening.
Traitements « sur mesure »
Une autre application s'annonce au moins aussi prometteuse : identifier les gènes ou protéines permettant de prévoir les réponses des patients à des chimiothérapies spécifiques ; la liste des oncogènes et gènes suppresseurs est déjà longue, qu'ils soient dépendants (HER2, ER) ou indépendants de la cible (mdr, p53, p27, bcl2). Comme le dit le Dr Kramer, on peut espérer aboutir à une nouvelle classification moléculaire des cancers, prédictive de la réponse thérapeutique. Par exemple, le gène RAS est présent dans 50 % des cancers du côlon et dans 75 % des cancers du poumon non à petites cellules, mais aussi dans de nombreux autres cancers (cancers du sein, du col, lymphome ...) ; on peut donc prédire sur quels cancers et sur quels sous-groupes de patients une molécule ayant pour cible le RAS sera active.
Ce passage d'une classification histologique à une classification moléculaire peut aussi entraîner un gain en termes de tolérance : on sait, par exemple, que la toxicité des fluoropyrimidines est accrue chez les patients ayant des taux abaissés de DPD, enzyme dont la production est contrôlée par le gène DYPD. On peut ainsi déceler les patients à risque et, par manipulation pharmacologique, agir spécifiquement sur les cellules cancéreuses en limitant ainsi la toxicité.
Mais, conclut le Dr Kramer, c'est en matière de l'efficacité que l'on peut espérer les avancées les plus grandes, comme l'illustre l'analyse des gains obtenus par l'association Taxol-Herceptine, en fonction de l'expression du gène Her2neu.
Des problèmes éthiques importants
Le Pr Ronald Green (université du New Hampshire) a cependant rappelé que ces révolutions médico-techniques soulevaient d'énormes questions éthiques, à commencer par les dangers d'un déterminisme génétique fou : les risques majeurs pour les libertés individuelles, les difficultés considérables du conseil génétique tenté par un maximalisme induit par certains parents, les nouveaux défis en termes de responsabilité médicale.
La prise en charge des patients peut prendre une tournure dramatique, en raison notamment du décalage prévisible des progrès diagnostiques et thérapeutiques : comment, par exemple, annoncer à un malade que son profil génétique ne lui permettra pas de tirer bénéfice d'un traitement qu'on présente, par ailleurs, comme une avancée majeure surtout s'il n'existe pas d'alternative ?
Une recherche tous azimuts
Ces passionnantes (et inquiétantes) perspectives de la pharmacogénomique ne doivent pas occulter l'effort de BMS dans la recherche de nouveaux anticancéreux, effort très diversifié ; or les voies les plus récentes sont privilégiées, les cytotoxiques représentent encore 22 % des 374 molécules en développement préclinique ou clinique et 40 % des 17 composés qui ont atteint la phase III.
A tout seigneur, tout honneur. BMS cherche des successeurs au Taxol, ce qui ne signifie pas que le développement de ce produit soit achevé (encore plus de 350 essais cliniques en cours, le total dépassant le millier). L'objectif est d'obtenir de nouveaux taxanes ayant un spectre d'activité élargi, en particulier sur les tumeurs résistantes aux taxanes traditionnels : deux molécules (BMS 184 476 et 188 797) sont actuellement en phase II, sur des tumeurs sensibles, résistantes et réfractaires au Taxol.
En début de développement clinique figurent également une nouvelle classe d'inhibiteurs de la tubuline (épothilone), qui a un mode de fixation original à cette dernière et qui, d'après les premiers résultats précliniques et cliniques, permet de vaincre les différents types de résistance aux taxanes, en particuliers ceux liés à des mutations de la tubuline. Une molécule (BMS 247 550) fait l'objet d'une phase II élargie, supportée par le National Cancer Institute américain (Gilles Gallant, Pharmaceutical Research Institute).
Les médicaments « antivasculaires » et l'angiogenèse font également l'objet de recherches actives (20 % des molécules en phase III, 6 % de l'ensemble des composés en développement) avec une nouvelle génération d'inhibiteur de métalloprotéinase (MMPI), dans le but de réduire les effets secondaires articulaires doses-limitants (BMS 275 291 actuellement en phases II/III), la combrestatine A-4 phosphate (CA4P) - prodrogue issue de la recherche sur les statines -, qui a pour cible la néovascularisation tumorale et réduit la perfusion tumorale de plus de 50 %) et, enfin, les taxanes administrés per os, en chronique, afin d'utiliser les propriétés angiogéniques de ces molécules (phase I).
Les traitements hormonaux verront sûrement leur importance décroître mais ils représentent encore 10 % des composés en phase III, avec en particulier les SARM (Selective Androgen Receptor Modulator), BMS ayant découvert la structure cristalline du récepteur aux androgènes ; un espoir pour le cancer de la prostate.
Dernier exemple, l'intervention sur les signaux et cycles cellulaires avec, en particulier, un inhibiteur de la RAS farnesyl transferase (BMS 214 662). On sait que des mutations des gènes RAS sont fréquentes dans de nombreux cancers (pancréas, poumon, côlon) et que l'inhibition de la fonction RAS oncogène est prometteuse. Le composé BMS 214 662 se caractérise par un effet pro-apoptolique puissant, ciblant essentiellement les cellules quiescentes avec un profil de résistance original ; les essais précliniques ont suggéré une synergie avec de nombreux agents anticancéreux.
Mais on ne peut conclure sans citer toutes les cibles visées par les composés en développement chez BMS : cytotoxique (22 %), nouveaux agents dont antisens, peptides et oligonucléotides (19 %), monoclonaux (9 %), cycle et signaux cellulaires (8 %), vaccins (8 %), angiogenèse (6 %), hormones (6 %), thérapie génique (5 %), immunomodulateurs, radiosensibilisants, chimioprévention... Tout cela, on l'a dit, dans la perspective d'une prise en charge individualisée des cancers, plus exactement des cancéreux.
(1) Conférence de presse internationale organisée par BMS.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature