De notre correspondante
U NE enquête menée dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur montre que 97 % des 489 victimes déclarées de violence psychologique au travail présentent au moins une complication morbide. Les plus fréquentes sont les troubles du sommeil, les troubles anxieux, les syndromes dépressifs, mais on observe aussi des atteintes somatiques variées : manifestations cardiaques, digestives, cutanées. Leur gravité a nécessité des arrêts de travail souvent prolongés. Les deux tiers de ces maladies professionnelles particulières concernent des entreprises de moins de 50 salariés, et 80 % de ces entreprises sont considérées comme économiquement saines. Tous les secteurs d'activité semblent concernés, mais on note l'émergence du commerce, et notamment de la grande distribution (30 %), des services (20 %) et de la santé (19 %), ces derniers cas étant particulièrement liés, selon les participants à la journée de travail, au stress des différents acteurs de la profession.
Soixante-quatorze pour cent des « persécuteurs » sont des hommes, tandis que 73 % des victimes sont des femmes, selon la même enquête. Pour le Dr Josette Chiaroni, médecin inspecteur régional du travail, les premiers présentent généralement « des personnalités perverses et narcissiques qui tirent satisfaction de la souffrance d'autrui ». Mais la journée de réflexion a montré que les individus ne sont pas seuls en cause. Le directeur du département santé du Québec, qui participait à ces travaux, a expliqué qu'au Canada, tout comme en Suède, les affaires de harcèlement aboutissent à la condamnation du chef d'entreprise, responsable de la sécurité et de la santé de ses salariés. « Une organisation du travail défaillante, qui pressurise les salariés, favorise ce type de comportement : on s'aperçoit souvent que le cadre accusé de harcèlement est lui-même victime de sa hiérarchie qui le place dans des contradictions ingérables », constate, de son côté, le Dr Pierre Chiaroni, psychiatre à la Timone.
Les cadres et le petit chat
Les participants ont aussi dénoncé les politiques de management qui visent à éliminer les plus faibles pour ne conserver que des « tueurs ». A cet égard, un témoignage a fait passer un frisson dans l'assistance : au cours d'un stage d'entreprise, un petit chat avait été confié au groupe qui devait en prendre soin pendant plusieurs jours ; à la fin, les formateurs ont demandé aux stagiaires de le tuer, et à ceux qui n'en avaient pas le courage, de se faire aider par les autres membres du groupe. Inutile de dire que les conséquences ont été coûteuses... pour la Sécurité sociale, entre autres, puisque ce stage s'est même soldé par une hospitalisation en psychiatrie pour état délirant grave.
Face à ces stress massifs ou, le plus souvent, distillés au jour le jour, les arrêts de travail se multiplient. Les médecins du travail, qui disent se heurter à de grandes difficultés pour agir au sein de l'entreprise, n'ont guère d'autre proposition à faire aux salariés les plus touchés que de signer une déclaration d'inaptitude au travail, qui permet au moins un licenciement avec indemnités, plutôt que la pénalisante « faute professionnelle » ou le départ volontaire.
La notion de harcèlement vient d'entrer dans le code du travail, beaucoup souhaitent maintenant que les députés la fassent entrer dans le code pénal, mais les médecins savent qu'ils auront toujours un rôle majeur à jouer pour aider les victimes.
Une consultation de pathologies professionnelles
La collaboration, qui semble vouloir se développer entre la direction régionale du Travail et l'Assistance publique de Marseille sur la violence au travail, repose déjà sur une expérience commune. Depuis 1994, une consultation de pathologies professionnelles fonctionne dans les locaux de la Timone, sous la responsabilité du Pr Alain Botta et du Dr Marie-Pascale Lehucher. Elle y reçoit des salariés envoyés par leur médecin du travail, par différents services hospitaliers, par leur médecin traitant, ou venus d'eux-mêmes. Après un long questionnaire sur les conditions de travail et les postes actuels et passés, un examen clinique et l'étude du dossier médical de son interlocuteur, le médecin tente d'établir l'origine professionnelle de la maladie. Si celle-ci entre dans le tableau des maladies indemnisables, elle aide le salarié à en faire la déclaration (qui, venant d'un expert, est alors pratiquement toujours acceptée). Ce service constitue aussi, au fur et à mesure, une banque de données qui met en évidence les risques les plus rencontrés et les risques émergents afin de permettre leur prévention et leur reconnaissance officielle. Le stress et la violence psychologique au travail en font largement partie.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature