Jusqu'alors largement déterminée par les principes de la charte de la médecine libérale de 1927, l'organisation des soins en France a été bouleversée par l'introduction du concept de médecin référent en 1998. Essai transformé par la réforme du médecin traitant qui généralise le parcours de soins en 2005. Ce mouvement « a introduit un principe de hiérarchisation de l’accès au système de soins. C'est un tournant important puisque cela inscrit potentiellement les pratiques des médecins généralistes dans une logique populationnelle, recherchée par le régulateur au travers de la territorialisation » analyse Julien Mousquès, chercheur à l'Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé).
« Avec l'introduction de la notion du médecin référent, puis celle de médecin traitant, l'idée était de valoriser l'activité des médecins généralistes, dont la responsabilité vis-à-vis de leurs patients n'était jusque-là pas reconnue » rappelle le Dr Jacques Battistoni, généraliste et président de MG France. Au départ pourtant, l'idée n'a pas séduit l'ensemble de la profession et a même suscité un rejet de certaines organisations syndicales. « À l'époque, la proposition d'introduire la notion de médecin référent n'a pas fait consensus. Seule une partie des généralistes se sont engagés dans cette démarche volontaire, alors que la rémunération associée était significative et supérieure à celle du médecin traitant, » poursuit le Dr Battistoni, pour qui les deux dispositifs « ont plus de points communs que de différences ».
Malgré ses défauts, et notamment un temps de gestion important pour les médecins, 1,2 million d’assurés et 6 100 généralistes avaient adhéré au premier dispositif qui n'était alors qu'optionnel. « Cela préfigurait le rôle du médecin traitant en instaurant un lien fort entre le généraliste et ses patients qui pouvaient bénéficier d'une dispense d'avance de frais. Ce lien fort est aujourd'hui un élément structurant de notre système de soins. Le médecin traitant en est désormais la première brique, » estime le généraliste.
Le médecin traitant, chef d'orchestre du parcours de soins
La réforme de 2005 a ensuite placé le médecin généraliste au cœur du parcours de soins des Français. « Ce rôle de chef d'orchestre du médecin traitant, anciennement dévolu au médecin de famille, apporte aux patients la garantie d'un parcours de santé pertinent et sans rupture. La croissance des pathologies chroniques a renforcé cette position centrale, » juge le Dr Luc Duquesnel, généraliste et président des Généralistes-CSMF.
Le rôle du généraliste a ainsi été légitimé et renforcé. « Le premier bénéfice est d'avoir instauré une continuité dans la prise en charge. Au niveau des acteurs locaux, les médecins traitants ont acquis une position centrale de coordinateur des soins et un rôle pivot dans l'organisation du système de soins, » observe Caroline de Pauw, sociologue, directrice de l'URPS Hauts-de-France et chercheuse associée au Centre lillois d'études et de recherches sociologiques. « Le médecin traitant est aussi l'acteur qui connaît le mieux le patient. Il l'aide notamment à s'y retrouver et à s'orienter dans une offre de soins souvent perçue comme complexe ».
Les bénéfices se retrouvent également en termes de santé publique, même si ce volet semblait au départ le maillon faible du dispositif. Dès 2009, la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) soulignait pourtant de « réels progrès » enregistrés notamment en matière de prévention, avant même l'introduction du Contrat d'Amélioration des Pratiques Individuelles (CAPI) en 2009, puis de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) en 2011. Sur la iatrogénie médicamenteuse, par exemple, elle constatait déjà qu'entre « le 1er semestre 2006 et le 1er semestre 2008 le nombre de personnes de 65 ans et plus traitées avec des benzodiazépines à demi-vie longue a diminué de 7,8 % (20 000 personnes), pour les vasodilatateurs la baisse atteint 18 % (100 000 personnes) ».
Un levier pour introduire d'autres modes de rémunération
L'instauration du médecin traitant a par ailleurs ouvert la possibilité de développer des actions ciblées en direction des médecins. « L’assurance maladie a trouvé ainsi l’outil nécessaire à la mise en place progressive d’un système d’incitations positives à la maîtrise médicalisée des dépenses de santé et, parallèlement, a pris appui sur le dispositif pour élargir la part forfaitaire des rémunérations » notait, en 2013, un rapport de la Cour des comptes qui jugeait néanmoins la réforme « inaboutie », notamment parce que « les considérables retards de conception et de mise en place du dossier médical personnel ont privé le médecin traitant de l’outil qui lui est indispensable ».
Reste que ce levier pour introduire de nouveaux modes de rémunération « a constitué un premier pas pour d'autres politiques » analyse Julien Mousquès. « La dimension à la fois territoriale et populationnelle de la réforme de 2004 a ouvert des perspectives nouvelles en termes d’organisation des soins de premiers recours et de pratiques dans les domaines de la prévention, l’éducation thérapeutique, la coordination de soins et la réduction des inégalités de santé ».
Cette dynamique se poursuit aujourd'hui. « L'article 51 de la dernière Loi de financement de la sécurité sociale va permettre d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits. On a là notamment la perspective d'un développement des pratiques de coopération plus poussée entre professionnels de santé, ce qui tend à améliorer la qualité des soins » poursuit le chercheur.
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