« C ETTE histoire nous empoisonne la vie », témoigne Martine Papiernik, docteur en médecine et directrice d'une unité de recherche INSERM spécialisée en immunologie. « Dans mon équipe, qui comprend 25 personnes, il y a quelqu'un qui s'occupe spécifiquement des commandes et qui jongle quotidiennement avec le système des marchés publics », explique-t-elle.
Martine Papiernik est l'une des 3 200 signataires de la pétition lancée par le collectif du pôle de recherche de Gif-Orsay-Palaiseau contre les marchés nationaux. Des chercheurs, des enseignants, des ITA (ingénieurs, techniciens, personnels administratifs), des personnalités (comme Pierre Chambon, professeur au Collège de France) s'insurgent contre la mise en application de nouvelles directives françaises concernant les marchés nationaux qui entravent, selon eux, le fonctionnement des laboratoires de la recherche publique.
Déjà ancien, le problème des marchés à bons de commande revient aujourd'hui, alors que le gouvernement a tenté, avec trois décrets d'en atténuer les contraintes.
En tant qu'établissements publics, les organismes de recherche, comme l'INSERM et le CRNS, sont soumis aux règles du code des marchés publics. Avant 1996, ils jouissaient toutefois d'un régime dérogatoire tacite qui leur permettait d'acheter leurs produits et matériels de laboratoire sans contrôle et, surtout, sans organiser la mise en concurrence des fournisseurs. Mais après différents scandales concernant les marchés publics liés au bâtiment, ces pratiques ont été remises en question par l'Inspection générale des finances et la Cour des comptes d'une part, mais également par la Commission européenne. Un groupe de travail associant plusieurs ministères, dont celui de la Recherche et des représentants des organismes de recherche, s'est alors mis en place pour établir un texte prenant en compte, dans le code des marchés publics, la spécificité de la recherche publique.
Les spécificités de la recherche
« La recherche est un domaine très évolutif et compétitif, explique Dominique Dalmas, directrice des contrats et des affaires juridiques du CNRS. Les achats scientifiques ne peuvent pas être traités comme des chaises de bureau. Ce sont des produits à durée de vie plus courte et qui ont des spécificités particulières. Le code des marchés publics veut instaurer la transparence de la procédure d'achat par des délais et des contraintes techniques et administratives. Or, la recherche ne peut être enfermée à l'intérieur de ces contraintes. »
Fruit de la réflexion ministérielle, le décret du 29 avril 1999, qui crée l'article 76 bis du code des marchés publics, vise à intégrer cette spécificité en permettant aux chercheurs de recourir à plusieurs fournisseurs pour un produit apparemment identique (la multi-attribution). « Dans mon laboratoire, commente Martine Papiernik, on travaille avec des modèles très fragiles et très compliquées. Nous sommes par conséquent très exigeants et tenons, lorsqu'un modèle marche, à le conserver tel quel. En biologie moléculaire par exemple, on veut souvent utiliser un enzyme bien particulier. Avec le décret, on pourra commander le même produit à plusieurs entreprises de notre choix : c'est déjà un avantage. »
Mais c'est la deuxième partie du décret qui empoisonne les chercheurs puisqu'elle prévoit la remise en compétition systématique des fournisseurs. Cette procédure entraîne donc lourdeurs administratives et perte de temps. « Force est de constater que cette situation aberrante ne peut pas être gérée par les laboratoires, indiquent les chercheurs dans le texte de la pétition. Un certain nombre d'entre eux passent en effet plus de 8 000 commandes par an, dont beaucoup sont destinées à faire face à des besoins urgents qui ne peuvent pas être planifiés. »
Un deuxième décret, du 9 novembre 2000, a tenté d'apporter des aménagements à cette obligation de remise en compétition en la supprimant dans trois cas : lorsque les commandes ne dépassent pas le montant de 4 000 F, lorsque le produit commandé ne peut pas être substitué ou lorsqu'il s'agit d'une commande complémentaire effectuée à titre accessoire auprès du fournisseur initial. Autre signe de bonne volonté de la part du gouvernement, le seuil des commandes hors marché qui ne nécessitent pas de procédures d'appel d'offres passera, en septembre prochain, de 300 000 à 590 361 F (décret du 7 mars 2001).
Assouplir les règles
Mais pour les chercheurs, ces assouplissements ne suffisent pas. « Une amélioration partielle de la situation pourrait être facilement obtenue par un assouplissement des règles », plaident les chercheurs, et notamment par le passage du seuil de 4 000 à 20 000 F pour les produits ne nécessitant pas de remise en compétition des fournisseurs. « Par ailleurs, nous rappelons que le seuil annuel hors marché est tellement bas 300 000 F aujourd'hui, 900 000 F en septembre) qu'il conduit à bloquer les commandes chez certains fournisseurs dès le début de l'année », ajoutent-ils. Les chercheurs demandent donc l'ouverture de négociations avec le pouvoir politique « afin qu'une solution rapide soit trouvée à ces problèmes graves qui paralysent en grande partie le fonctionnement de la recherche publique ».
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