E MBAUCHEE en 1987 par la société Adressonard de Lesquin (Nord), qui est spécialisée dans la « personnalisation de documents » (1), Sylvie Herbaut a été à de nombreuses reprises, entre les 22 juin 1994 et 5 mai 1995, en arrêt de travail pour maladie.
Licenciée le 5 mai 1995, à cause de ses « absences répétées (qui) entravaient la bonne marche de l'entreprise », elle a saisi les prud'hommes en vue d'obtenir une indemnité pour mise à pied abusive. La chambre sociale de la cour d'appel de Douai, appelée à juger l'affaire, a débouté la plaignante, le 30 septembre 1998, en évoquant « une perturbation dans le fonctionnement du service », imputable aux arrêts maladie.
Ce qui constitue, selon la cour, « une cause réelle et sérieuse de licenciement dès lors que l'employeur ne peut plus compter sur une participation suffisamment régulière de l'intéressée ».
Et d'ajouter que, pour remédier à des congés fréquents et subits, il faut recourir à « un travail supplémentaire des (6) autres employés », ou à « l'embauche d'une travailleuse intérimaire ».
Mécontente du jugement, Sylvie Herbaut se pourvoit en cassation. Certes, le dossier est traité sous l'angle du droit, et non des faits ; en tout cas, la plaignante est à nouveau rejetée dans les cordes. La cour affirme même que ses « absences répétées » ont rendu « nécessaire son remplacement définitif ».
Pour la chambre sociale de la Cour de cassation de Paris, « si l'article L. 122-45 du code du travail, qui fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail dans le cadre du titre IV de ce même code (loi de 1992) , ne s'oppose pas à son licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées de l'intéressé, celui-ci ne peut toutefois être licencié que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif ».
Il revient maintenant à une nouvelle juridiction, en l'occurrence la cour d'appel de Reims, devant laquelle sont renvoyées les deux parties, de rejuger les faits et, aussi, le droit. Elle peut suivre la Cour de cassation, comme le font souvent les cours d'appel de renvoi, mais, elle aussi, a les moyens de faire de la résistance.
Une régression de la prévention
Pour le Dr Guy Marignac, médecin-inspecteur du travail d'Ile-de-France, ce jugement « remet complètement en cause la logique de fonctionnement de la loi de décembre 1992 qui oblige à passer systématiquement par le médecin du travail ». « Enfin, il y a des arrêts de cassation qui restent sans suite », note le praticien. Son confrère, le Dr Gilles Arnaud, secrétaire général du Syndicat professionnel des médecins du travail (2), est « outré ». « Il y a déjà eu une avancée négative du même ordre, au cours de ces dernières années », rappelle-t-il. Une autre jurisprudence de la Cour de cassation autorise le licenciement sans déclaration d'inaptitude par le médecin du travail, en se fondant non pas sur l'état de santé du salarié mais sur l'état de l'entreprise (voir ci-dessus). « Du point de vue des patrons, ces brèches sont certainement intéressantes, mais pour nous, praticiens du travail, c'est réduire à une peau de chagrin notre fonction. Il faut savoir, poursuit le Dr Gilles Arnaud, que les cas donnant lieu à des démarches prud'homales sont souvent des cas difficiles, nécessitant une aide médicale ; là on veut les priver de l'avis du médecin du travail. Oui, de mon point de vue, il s'agit d'une régression de la prévention en santé du travail, qui a une dimension médico-socio-professionnelle. Je ne peux que condamner. Décidément, on veut que le médecin du travail soit au service de la productivité de l'entreprise, et, maintenant, on cherche à s'en dispenser au moment où le salarié en a le plus besoin. Les arrêts de travail de sont pas des arrêts de complaisance. L'article L. 241-10-1 du code du travail est pourtant clair. Quand le salarié éprouve des difficultés de santé, il appartient au médecin du travail de proposer des aménagements de poste en fonction de l'aptitude du travailleur. Si l'employeur exprime un refus, il doit s'en expliquer. Tandis qu'en dernier recours, c'est à l'inspecteur du travail de trancher. C'est tout cela qu'on veut faire voler en éclats », prévient le Dr Gilles Arnaud.
Pour l'heure, c'est incontestable, une nouvelle brèche est ouverte dans la jurisprudence « droit au travail et santé ». Mais il faut attendre le jugement définitif de l'affaire Herbaut pour savoir l'usage qu'en fera la chambre sociale de la cour d'appel de Reims, dans quelques mois.
(1) Société anonyme rachetée, en 1999, par Vectamail, qui emploie, aujourd'hui une quarantaine de personnes à Villeneuve-d'Ascq.
(2) Affilié à l'Union confédérale des médecins salariés de France.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature