En ces temps de crise permanents où le moindre penseur d’occasion prophétise catastrophes et drames en série, l’œuvre de Cioran bouscule le lecteur et l’invite loin de l’instantané à l’essentiel. Ici rien n’est pensé pour réconforter le lecteur, le consoler, si ce n’est le recours à une langue ciselée, tranchante. Dans cette invitation à visiter comme par effraction les abîmes grâce au recours à l’aphorisme, au fragment, on ne peut s’évader ou refuser la confrontation avec la mort, le vide, le néant. Il n’y a là aucune quête ou but à rechercher. Nourri de lectures bibliques, de sagesses orientales, de récits hassidiques, Cioran serait-il alors un mystique athée, écrivant simplement après Nietzsche et le temps des catastrophes ? Là encore, la vérité se niche dans le paradoxe ou l’entre-deux. Dans une très belle préface qui se hisse à certains moments à la hauteur du maître, Nicolas Cavaillès écrit : « Dieu n’est pas même mort, mais mauvais. Ou bien si l’on veut sauver le mot Dieu et l’idée de providence, il faut se dire athée “et l’athée n’est alors qu’un homme se faisant de Dieu une idée supérieure à celle que s’en fait son siècle” (Marguerite Yourcenar)». Mais si ces écrits échappent à toute étiquette, relèvent-ils alors de la philosophie, de la littérature ? Il n’y a pas de cohérence dans l’œuvre, des errements politiques, plutôt des contradictions. Comment trancher, alors que Cioran échappe à la fascination pour la mort et le suicide, grâce peut-être à la vertu thérapeutique de l’écriture ? Il ne se soustraira pas en tout cas à la maladie d’Alzheimer qui mine peu à peu cette impitoyable lucidité.
Touché par cette écriture négative, ce fil tendu, provisoire entre être et non-être, le lecteur ne sombre pas, sauvé par l’humour, l’ironie mordante de l’auteur. Sauvé surtout par l’incroyable beauté du monde et des créations de l’homme, la musique de Bach par exemple : « Après les variations Goldberg […], nous fermons les yeux en nous abandonnant à l’écho qu’elles ont suscité en nous. Plus rien n’existe, sinon une plénitude sans contenu qui est bien la seule manière de côtoyer le Suprême. » Faut-il alors parler de la douceur de vivre ?
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