Le « refoulement » freudien relèverait-il plus de la volonté que de l'inconscient ?

Publié le 14/03/2001
Article réservé aux abonnés

L E concept de « répression » des souvenirs non souhaités est l'un des fondements de la théorie psychanalytique de Freud. Mais si les exemples d'oublis sélectifs dans la vie de tous les jours sont légion, les explications données à ce phénomène n'ont jamais encore satisfait la communauté scientifique, du fait de leur caractère totalement involontaire. Restait donc à montrer par un modèle cognitif expérimental que l'oubli sélectif pouvait être un phénomène induit par la volonté. C'est chose faite : dans la dernière édition de « Nature », deux chercheurs en psychologie de l'Oregon ont adapté la vieille technique d'évaluation de la mémoire chez les primates (exécution-récompense / non-exécution) pour tester trente-deux collégiens sains d'esprit.

Le test exécution-récompense / non-exécution

Chez le primate, ce test est un moyen d'étudier le contrôle exécutif d'une tâche à l'issue d'un apprentissage. En effet, l'exécution du mouvement chez l'animal nécessite le codage, la gestion et la réminiscence des informations issues de la mémoire volontaire. Les collégiens, candidats à l'expérience, ont appris une liste de paires de mots non liés entre eux comme « travail-truite ». Puis, pour chaque couple de mots préalablement appris, il leur était demandé de retenir ou de ne pas retenir le second mot (y penser/ne pas y penser). Quand la tâche d'exécution était positive, ils devaient dire le mot à haute voix ; dans l'autre cas, ils devaient se taire. Satisfaire l'injonction négative nécessitait par conséquent d'inhiber deux mécanismes : celui de la mémoire du mot et celui de la parole. Les différentes paires de mots et leurs injonctions associées ont été présentées de façon aléatoire aux participants un certain nombre de fois (jusqu'à seize).

Mots permis, mots interdits

Puis, dans une seconde partie de l'expérience, les candidats devaient systématiquement énoncer les deux mots de la paire sans tenir compte de l'apprentissage préalable. De façon surprenante, les mots « permis » sont très bien revenus en mémoire alors que les mots « interdits » étaient difficilement énoncés. Cette difficulté persistait même en aidant les candidats avec une suggestion pouvant aider au souvenir (poisson... pour truite).
Ce résultat expérimental montre qu'une tâche oubliée volontairement devient au fur et à mesure de son expérimentation (caractère routinier) réellement difficile à remémorer. Il existe donc un lien direct entre les opérations internes qui contrôlent la réminiscence des souvenirs et leur accessibilité ultérieure. On est proche de la théorie freudienne du refoulement : il existe une inhibition active de la mémoire qui relève du fonctionnement normal du cerveau. Mais ce « refoulement » des souvenirs n'est pas uniquement lié aux traumatismes psycho-affectifs, un grand nombre d'informations « parasites » pourraient en passant à la trappe faciliter le souvenir des informations « essentielles ». Si l'on va encore plus loin dans « l'organicité » freudienne, de 20 à 25 % des neurones corticaux pourraient ne servir qu'à inhiber d'autres circuits afin de ne pas atteindre un état d'hyperexcitation. Ces circuits de neurones « répresseurs » donneraient alors une explication biologiques aux névroses viennoises.

Michael Anderson, Collin Green, « Nature », vol. 410, 15 mars 2001, pp. 366 ; éditorial de Martin Conway.

Dr Catherine DESMOULINS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6877