Cinq ans après, le fléau se poursuit

Le suicide, un fait social

Publié le 14/12/2017
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depression femmes

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Crédit photo : AFP

Un cas de suicide par jour en Tunisie était déclaré durant l’année 2015, quasiment le double de ce qui était signalé avant la révolution (1), soit 3,27 morts par suicides pour 100 000 habitants. Kairouan, Gafsa et Bizerte sont les trois premières régions concernées. La tranche d’âge 20-39 ans est la plus affectée. Les hommes sont presque trois fois plus nombreux que les femmes à se tuer (4,75 contre 1,8/100 000 en 2015).

Depuis 2011, les immolations, comme actes de protestation politique couplés à une résignation à la mort, se succèdent inlassablement, tout en semblant se nourrir les unes des autres (lire ci-XXXXX). Cette forme particulière de suicide, spectaculaire, publique et profondément politique, ne doit toutefois pas faire de l’ombre au suicide « ordinaire », à l’écart de l’espace public. Par sa récurrence, le suicide par pendaison ou par empoisonnement ravit de plus en plus de vies à la jeunesse tunisienne.

Une société dérégulée et dérégulatrice

« Le suicide est un fait social », répète le sociologue Mohamed Kerrou, citant Émile Durkheim. Il coupe court d’emblée aux explications par trop psychologisantes qui omettraient d’inclure le suicidant dans son environnement social, qu’il ne choisit pas puisqu’il s’impose à lui… Tout en mettant en garde contre des interprétations par trop déterministes, considérant le suicide comme phénomène social incontrôlable.

Une déception en matière de justice sociale ?

Comme comportement de l’exclu, le suicide est « porteur d’une protestation » dont l’expression aboutit à un « suicide réactionnel ». Le cas de Bouazizi serait en outre « anomique », en ce qu’il reflète l’incapacité de la société, dérégulée et dérégulatrice, à doter les individus d’un pouvoir de limitation de leurs désirs individuels.

Pour Fatma Charfi, présidente du Comité technique de lutte contre le suicide, ce phénomène se cristallise d’une manière nouvelle autour, notamment, des échecs de la révolution en matière de justice sociale : « nous assistons de plus en plus à des immolations survenant suite aux conflits entre le suicidant et le représentant du pouvoir public, à l’image du suicide de Bouazizi».

(*) Chef de service, (**) Interne, (***) Service Pinel, hôpital Razi (Tunis), (****) Psychiatre privé, Nabeul
(1) BenKheli M et al. Burns 2017;43(4):858-65

Rym Ghachem (*, ***), Azza Attia Olfa moula (**, ***), Soumaya Ghaoui (****)

Source : Bilan Spécialiste