L E premier tour des élections municipales est tellement riche en enseignements divers qu'il ne contient peut-être aucun enseignement : on ne peut pas dire que la gauche ait gagné ou que la droite ait perdu, que l'extrême droite se soit effondrée ou qu'elle ait progressé, que les Verts progressent (c'est vrai, mais pas à Dole) que les « surprises » si souvent commentées pendant la soirée électorale n'aient pas été précédées de signes avant-coureurs qui en atténuent l'effet, que ces élections aient été plus locales que politiques, ou l'inverse, que le sort réservé à des chefs de file comme Philippe Séguin, Elisabeth Guigou, Dominique Voynet, Jean-Claude Gayssot ou Catherine Trautmann fût imprévisible, que Jacques Chirac et Lionel Jospin puissent voir dans ce scrutin un encouragement ou un mauvais augure, que l'abstentionnisme ne s'inscrive pas dans une tendance qui remonte à plusieurs années déjà : la liste est longue des leçons qu'on voudrait tirer de la consultation mais qui sont aussitôt contredites par d'autres leçons.
Ministres candidats : courage ou témérité ?
Avant même le second tour, on est tenté de penser que les municipales n'auront aucun effet sur les échéances électorales de l'an prochain et qu'elles laissent le rapport de forces gauche-droite vierge de toute altération. Trop de ministres ont été durement désavoués ? C'est peut-être vrai de Mme Guigou et de Mme Voynet, cela ne l'est pas de Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la Recherche, brillamment élu dès le premier tour à Villeneuve-Saint-Georges, dans le Val-de-Marne. La ministre de l'Emploi et de la Solidarité et sa collègue de l'Environnement ne s'attendaient peut-être pas à une humiliation, mais elles savaient depuis plusieurs semaines que leurs chances étaient à peu près nulles. Quant à Jack Lang, les électeurs de Blois ont tenu à lui faire savoir qu'on ne peut pas les prendre pour quantité négligeable, les oublier pour les beaux yeux de Paris, puis revenir quémander leurs suffrages.
Quelques-uns de ces ministres défaits n'ont pas manqué de courage qui sont allés se battre sur un terrain très défavorable. Mais avoir du courage, c'est ignorer le risque, pas l'éliminer. Ils ont donc payé leur témérité.
Sortants contre parachutés
De la même manière, les « parachutés », de M. Gayssot à M. Séguin, ne semblent pas avoir été considérés comme « légitimes » par des électeurs qui pensent, probablement, qu'ils ne sont pas là pour assurer la carrière d'un tel ou de tel autre, mais pour que le candidat soit sincèrement à leur service. Quoi de plus logique, et même de plus républicain, que de récompenser les sortants qui ont fait du bon travail ? On notera que les maires qui ont travaillé pour leurs mandants ont été reconduits dans leurs fonctions, quelle que soit leur appartenance politique, gauche, droite ou extrême droite.
De ce point de vue, c'est sûr, les électeurs ont rappelé à la classe politique qu'il s'agissait bel et bien d'un scrutin local et non politique. L'abstentionnisme (un votant sur trois), qui, pour un scrutin municipal, a été le plus élevé de l'histoire de la Ve République, a constitué un autre rappel à l'ordre de la classe politique : dis-moi ce que tu as fait pour nous, et je voterai pour toi.
Les dilemmes des ténors
L'éclectisme électoral aura aggravé encore les dilemmes de la classe politique, en accroissant la confusion naturelle, institutionnelle des premiers tours. Il y avait, dès lundi, des pactes à conclure et, pour certains candidats, notamment dans les grandes villes où se sont présentés des ténors de la politique, des accords où ils allaient laisser leur âme. Philippe Séguin, sommé par Jean Tiberi de fusionner ou périr ; Catherine Trautmann qui, elle aussi, a cru qu'elle pouvait faire un aller-retour entre la mairie de Strasbourg et le gouvernement, et qui a été concurrencée par son premier lieutenant ; le méli-mélo de Lyon où la droite, si elle veut l'emporter au second tour, devait bel et bien négocier avec Charles Millon, naguère cloué au pilori pour avoir pactisé avec le Front national au niveau du conseil régional. Combien de serments définitifs et irréversibles ont été prononcés avant le premier tour qui n'auront été respectés qu'au prix de la défaite ou auront été trahis par nécessité !
Si la gauche « gouvernementale », comme on dit à droite, a pris quelques coups extrêmement rudes, la droite n'a pas été épargnée ; ne serait-ce qu'à Toulouse, où Philippe Douste-Blazy est mis en ballottage par la liste « Mo-tivé-es », candidats que l'on croyait fantaisistes mais qui ont gagné le droit de rester au second tour. Ne serait-ce qu'à Paris, bastion des gaullistes et plus particulièrement du président de la République, où la gauche et les Verts ont aussitôt passé un accord, et se donnaient ainsi toutes les chances de l'emporter au second tour. Alors que M. Séguin, d'abord frappé de mutisme pendant trois heures après la publication des résultats, n'avait plus que le choix entre courir à sa perte et obéir aux injonctions de M. Tiberi, sans même être sûr que la trahison de ses propres principes assurerait la victoire de son camp.
Qu'allaient-ils faire dans cette galère, à Avignon, à Dole, à Béziers, à Paris ?
Une envergure nationale
Ils y sont allés parce qu'ils ont une envergure nationale capable, croyaient-ils, de balayer les obstacles. Des pelés, des tondus leur ont fait savoir qu'ils n'étaient pas impressionnés.
Quant à la presse, télévisée notamment, qui n'a cessé, le soir du 11 mars, de clamer sa « surprise », elle ne sort pas grandie non plus du camouflet que lui a infligé l'électorat. Tous les journalistes, y compris nous-mêmes, ont été trompés par les sondages, beaucoup plus nuancés que le résultat du scrutin.
La seule vraie leçon du premier tour des municipales, c'est l'humilité : celle de la classe politique qui n'a sans doute pas fini sa descente aux enfers et dont les moyens de séduction sont chaque jour moins efficaces : il faudra désormais dire pourquoi on est candidat et enfouir la publicité sous le sacerdoce public ; celle de la presse, trop près du monde politique, trop éloignée de l'électorat, qui va devoir faire preuve de prudence accrue.
L'abstentionnisme augmente peut-être, mais, à chaque consultation, c'est désormais l'électorat qui triomphe : sa liberté devient invulnérable aux médias, aux effets de manche, au charme politicien. Les électeurs font ce qu'ils veulent, quand ils le veulent. Ils votent ou ne votent pas. Et quand ils votent, ils n'acceptent aucune exclusive, aucune pression morale, aucune démonstration de légitimité (du genre : je suis une femme politique, donc je mérite quelques égards, ou bien Paris est gaulliste, donc les gaullistes sont inamovibles, ou bien je suis ministre, donc le meilleur candidat). L'électeur ne bénéficie pas seulement de la liberté liée au système, il est libre de toute influence. Et le fait savoir.
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