Extériorisation de la souffrance individuelle

L’émergence de l’immolation

Publié le 14/12/2017
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La pendaison se hisse à la première position (58,7 %) et l’immolation représente 15,89 % des suicides enregistrés en 2015 en Tunisie. Il s’agit d’un phénomène nouveau : le suicide par immolation ne constituait, avant la révolution, que la quatrième technique employée (après la pendaison, la noyade et la prise de substances toxiques), soit 20 fois plus aujourd’hui.

Après Mohamed Bouazizi, l’usage de cette méthode spectaculaire à coloration sacrificielle s’impose comme un éclaireur de l’évolution de la perception sociale du suicide en Tunisie. « Hier strictement confiné à l’espace domestique, le suicide tend aujourd’hui à être employé comme un instrument d’appel désespéré à l’aide », rapporte Mehdi Ben Khelil, médecin légiste. Un appel qui s’inscrirait de surcroît dans une démarche promouvant une extériorisation de la souffrance individuelle avec la collectivité. Un cri qui pourrait dire « à moi la mort et à vous (société) les remords ». Outre la recrudescence des immolations, une augmentation des suicides commis dans des endroits publics symboliques (souvent devant des mairies, des postes de police, etc.) est également à déplorer, démontrant ainsi qu’un conflit endémique s’est enraciné entre les représentants de l’autorité et les exclus de la société.

Exergue : « À moi la mort, à vous (société) les remords ».

Par ailleurs, si la plupart des suicidants sont célibataires, l’on assiste à un accroissement de suicides commis par des personnes mariées, souvent en raison de la pression qu’exercent des difficultés financières sur leur ménage. Ce sont d’ailleurs les chômeurs et les ouvriers qui se suicident le plus, représentant plus de 80 % des cas.

Un acte médiatique

Pour Kerrou, l’immolation, « acte politique par excellence, n’existe politiquement que quand il est médiatisé » et n’est médiatisé que lorsqu’il est spectaculairement mis en scène.

Elle constitue aussi, selon Amen Allah Messadi, professeur en réanimation médicale, la douleur physique la plus insoutenable qui soit pour l’être humain. Une auto-mise en scène spectaculaire et douloureuse, donc.

(*) Chef de service, (**) Interne, (***) Service Pinel, hôpital Razi (Tunis), (****) Psychiatre privé, Nabeul

Rym Ghachem (*, ***), Azza Attia Olfa moula (**, ***), Soumaya Ghaoui (****)

Source : Bilan Spécialiste