LE QUOTIDIEN - Le directeur de la CNAM, Frédéric van Roekeghem, explique que l’Ordre n’est pas assez vigoureux dans la lutte contre les dépassements excessifs. Il réclame un droit de sanction du non-respect du tact et mesure qui permettrait de ne pas attendre une décision préalable de l’Ordre. Comment réagissez-vous ?
Dr MICHEL LEGMANN – C’est inacceptable ! L’article 76 de la dernière convention prévoit que des sanctions peuvent être prononcées contre des médecins par des caisses, après avis de l’Ordre. Mais le directeur de la CNAM veut aller plus avant. Il veut s’arroger la faculté de juger unilatéralement les médecins et de les sanctionner sévèrement, puisque cela pourrait aller jusqu’à une interdiction d’exercer plus ou moins longue, et sans l’avis ordinal ! Cela s’apparente à un pouvoir discrétionnaire, du style lettre de cachet… C’est ce que le directeur appelle la démocratie sanitaire ! Sans crainte de se contredire, il reconnaît que, sur la question des dépassements hors normes, l’Ordre et l’assurance-maladie ont élaboré il y a un an une procédure qui a permis de régler les choses avec efficacité, sans publicité, s’agissant d’une vingtaine de PU-PH de l’AP-HP à secteur privé. Cette procédure a convaincu ces médecins parisiens de rentrer dans le rang et de revenir à des pratiques tarifaires raisonnables, grâce à l’action conjointe de l’Ordre et de la Sécu. Pourquoi changer une procédure qui a marché à la satisfaction de toutes les parties ?
En dehors de ces dépassements exorbitants, y a-t-il, oui ou non, une concertation entre la Sécu et l’Ordre pour faire respecter le tact et mesure ? Le directeur de la CNAM explique que la procédure est longue, peu dissuasive…
Ces critiques adressées à l’Ordre sont aussi dérisoires qu’injustes ! Il y a aujourd’hui 249 médecins sous surveillance, a annoncé le directeur de la CNAM. Mais comment voulez-vous que j’instruise des dossiers alors que la CNAM ne me donne aucune information nominative. Les caisses ne transmettent rien. J’avais obtenu dans la loi HPST de juillet 2009 la création de commissions paritaires entre ordres départementaux et caisses primaires. Deux ans après, en dépit de la loi votée en 2009, aucune commission n’a été installée. Information zéro ! Ces 250 médecins, je ne sais pas qui ils sont. Comment voulez-vous que j’agisse ? Le directeur exagère et il le sait parfaitement. Qu’il me défère les cas.
J’ajoute que lorsque l’Ordre est saisi directement par un patient, l’Ordre s’autosaisît de l’affaire, convoque le médecin et le patient. Cela ne survient que très rarement, de même les associations de patients n’utilisent pas cette faculté, c’est bien la CNAM qui détient tous les éléments, de sorte qu’avant de critiquer l’Ordre, je pense qu’elle devrait surtout procéder à son autocritique.
Quand des sanctions ordinales sont prononcées, sont-elles dissuasives ?
Là encore, je veux rétablir la vérité. Je vais vous citer quelques cas de sanctions infligées l’an passé : un gynécologue obstétricien condamné à deux mois d’interdiction d’exercice dont un avec sursis, un pédiatre condamné à un an dont six mois avec sursis pour des dépassements systématiques, un chirurgien plasticien condamné à un an, un autre chirurgien esthétique, pour des varices, condamné à 8 jours d’interdiction, un généraliste à trois mois, etc… Ce sont les sections disciplinaires de l’Ordre qui prononcent ces sanctions. Quand les affaires arrivent, suite à une plainte, nous les traitons.
Ce qui me choque, c’est que certains laissent croire que l’Ordre « protège » des confrères et s’arrangent avec eux. Or, la première instance régionale, la chambre disciplinaire, est présidée par un magistrat totalement indépendant des médecins qui sont simplement les assesseurs. Il rédige le PV, les attendus, et confirme la sentence. Quand les affaires vont en appel, à la chambre nationale, l’instance est présidée par un conseiller d’État. Si le directeur [de la CNAM] trouve que les sanctions sont trop légères ou mal appropriées, il ne tient qu’à lui de convoquer les magistrats et les « briefer » pour leur dire ce qu’il attend d’eux !
Néanmoins, l’Ordre a annoncé qu’il allait redéfinir la notion floue de tact et mesure…
Tout à fait. Il faut distinguer les dépassements extravagants et ceux qui sont autorisés par le secteur II, la convention. Des professionnels qui ont plus de quinze ans de formation, commencent à exercer à 38 ans, doivent pouvoir gagner correctement leur vie. La consultation à 23 ou 25 euros est complètement inadaptée. Le secteur II a été inventé pour compenser en partie la déconnexion entre les tarifs Sécu et la valeur réelle des actes et leur juste rémunération. C’est pourquoi l’Ordre donnera davantage de précisions sur des normes "raisonnables" de dépassements. Nous ferons des recommandations pour que les médecins de secteur II aient un pourcentage d’actes en secteur I, de l’ordre de 30 %, et une forme de plafonnement, de manière à ce que tout le monde et partout puisse avoir accès à des soins de qualité. Nous allons réfléchir sereinement et en dehors de tout contexte politique. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi le mois de mai. S’il y a des dérives, c’est parce que les choses ne sont pas suffisamment précisées. Il faut tout examiner, de la situation de chaque patient à la moyenne régionale de dépassement et à sa fréquence dans chaque spécialité.
Vous jugez sévèrement la nouvelle convention. N’est-ce pas la raison de vos relations crispées avec la CNAM ?
Excusez-moi si je vous demande pardon mais je considère pouvoir conserver le droit de critiquer ce texte. Ce « P4P » [rémunération sur objectifs], jusqu’à 9 000 euros, qui va en bénéficier ? Vraisemblablement assez peu de médecins ! La moyenne des primes sera très inférieure pour la grande majorité des médecins. Le directeur de la Cnam a réussi à troquer ce nouveau mode de rémunération individualisé contre la revalorisation pour tous de l’acte de base. L’Ordre a mis le doigt là-dessus. Certes je considère que les objectifs de santé publique sont positifs, indispensables à la bonne pratique mais inévitablement il y aura des situations de conflit d’intérêt. Je ne peux l’admettre.
Sur l’accès aux soins, vous jugez inopérantes les mesures incitatives. En même temps, vous êtes hostile à la contrainte. Alors que faire ?
Il y a deux sortes de déserts médicaux. Les déserts horizontaux, essentiellement ruraux, et les déserts verticaux, que sont les concentrations de tours dans les zones urbaines ou les banlieues. Il faut traiter différemment chaque situation. En zone rurale, vous n’installerez aucun cabinet médical dans un champ de betteraves, au milieu de quelques fermes isolées ! Certains édiles tiennent pourtant ces discours démagogiques, voire populistes. Dans ces zones, il faut d’un côté traiter les urgences avec le SAMU, des moyens de transports adaptés, la régulation/effection de jour et de l’autre mettre en place des bus médicalisés pour suivre les patients chroniques, à échéance régulière. Attention, ces bus, ce n’est pas n’importe quoi, n’importe comment et avec n’importe qui, cela s’organise sous la surveillance du conseil de l’Ordre, en liaison avec l’ARS.
Dans les banlieues, c’est l’insécurité qui est le principal frein, et le sera demain avec davantage de jeunes femmes dans les promotions. Les réponses doivent être multiples, adaptées : SOS, l’hôpital, les cliniques privées, les dispensaires, les maisons pluridisciplinaires… La proposition de loi Vigier, c’était le contraire de ce qu’il faut faire ! Si elle avait été votée, cela aurait découragé les derniers volontaires à l’installation en libéral.
Quelle est aujourd’hui votre perception du corps médical libéral ?
Contrairement à ce qu’on pourrait penser après autant d’adhésions à la convention, et à l’ASV, le climat dans le monde libéral, comme d’ailleurs dans le monde hospitalier, est assez lourd. Ces derniers temps les médecins ont subi beaucoup trop de critiques injustes - dépassements d’honoraires, déserts médicaux, Mediator, prothèses PIP, conflits d’intérêts…. Ils ne sont pas responsables de tous ces maux. Ces mises en cause sont inacceptables, désobligeantes. Tous ces problèmes doivent connaître des solutions raisonnables dans la concertation. Je dis simplement. Halte au feu !
L’ORDRE DONNERA DAVANTAGE DE PRÉCISIONS SUR DES NORMES "RAISONNABLES" DE DÉPASSEMENTS
CE QUI ME CHOQUE, C’EST QUE CERTAINS LAISSENT CROIRE QUE L’ORDRE « PROTÈGE » DES CONFRÈRES
DANS LES BANLIEUES, C’EST L’INSÉCURITÉ QUI EST LE PRINCIPAL FREIN
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