De notre correspondant
C HEF du service d'ophtalmologie du centre hospitalier de Haguenau (Bas-Rhin) jusqu'en 1997, le Dr Heitz s'est intéressé à la contactologie dès les années soixante, « à une époque où personne n'en faisait », et a fondé par la suite la première revue européenne consacrée à cette discipline. Fruit de sa double passion pour l'histoire et les lentilles, son travail embrasse cinq siècles d'ophtalmologie, ponctués d'hypothèses et d'errements, d'instruments parfois étranges, mais aussi de traits de génie et de remarquables avancées diagnostiques et thérapeutiques.
« J'ai d'abord voulu dissiper toutes les idées reçues qui peuplent ce sujet », explique le Dr Heitz, qui démontre, textes originaux à l'appui, que, si Léonard de Vinci ou Descartes se sont intéressés à l'optique, ils n'ont jamais découvert le principe des lentilles, comme trop d'études erronées l'ont parfois laissé croire : chassant sans pitié les fausses interprétations, les traductions maladroites et les recopiages hâtifs qui gâtent l'histoire de sa discipline, le médecin alsacien fait de Jean Méry, Philippe de la Hire et François Pourfour du Petit les authentiques découvreurs de la neutralisation cornéenne.
Une coque remplie d'eau
Entre 1701 et 1728, après des expériences d'immersion de têtes de chat puis d'yeux de cadavres dans l'eau, ils en présentent les principes devant l'Académie des sciences et expliquent le mécanisme optique de la visualisation du fond de l'il à travers l'eau. Leurs études sont complétées plus tard par les travaux de la Royal Society de Londres, mais il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour en dégager les premières applications pratiques.
La neutralisation de la cornée par une coque remplie d'eau appuyée contre l'orbite est d'abord utilisée après 1850 à des fins d'études anatomiques puis d'examens rétiniens ; l'apparition de l'anesthésie oculaire, en 1884, permet le contact direct avec l'il d'un liquide ou d'un solide sans douleur ou rejet. En 1888, A. E. Fick, à Zurich, et E. Kalt, à Paris, décrivent l'utilisation d'une coque de verre sur des yeux à cornée pathologique, tandis que l'Allemand August Müller corrige lui-même sa forte myopie avec des verres de contact taillés. Lourds, peu pratiques et d'une qualité optique souvent médiocre, ces premiers verres permettent toutefois des améliorations temporaires de la vision des patients.
A partir de 1896, des hydrodiascopes, « lunettes à eau » munies de lentilles correctrices, offrent une correction passagère des kératocônes, mais ne peuvent être utilisées très longtemps en raison de leur taille et de leur inconfort.
Les verres de contact apparaissent enfin au début du XXe siècle, bénéficiant de l'intérêt que leur porte alors l'industrie optique en plein essor, à l'image de la société Zeiss, à Iéna, qui produit de nombreux verres destinés tant à la correction des kératocônes que de l'ensemble des amétropies.
Mais ce développement technologique ne se fait pas non plus sans déceptions ni errements, y compris pour les malades qui supportaient souvent très mal la présence de ces verres sur leurs yeux. Après 1933, l'expatriation des meilleurs ophtalmologistes allemands, puis les ravages de la guerre, sonnent le glas de la primauté européenne dans ce secteur d'activité. L'arrivée de nouveaux matériaux et le dynamisme des chercheurs et des sociétés américaines favorisent le développement rapide des lentilles de contact, d'abord outre-Atlantique, puis en Europe dès les années quatre-vingt.
« J'ai voulu préciser enfin, sur des bases irréfutables, la naissance et l'histoire de ces techniques », conclut le Dr Heitz, qui, non content d'avoir « comblé un vide » par son travail, se prépare déjà à explorer de nouveaux chantiers de recherches historiques.
* « De la neutralisation cornéenne aux verres de contact : étude historique des principes et des applications des systèmes de contact oculaire dans le contexte des connaissances du XVIe siècle à la première moitié du XXe », thèse soutenue le 13 janvier 2001 à l'Ecole pratique des hautes études, section des sciences historiques et philosophiques. Contact : Robert Heitz, heitz@sdv.fr
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