D ANS la clinique où arrive, il y a trois ans, le Dr Andre Matalon (Petach, Israël), on ne connaît que trop une patiente que l'on appelle « Zohara », ce qui, en hébreu, signifie « l'illuminée ». Il faut dire que cette veuve yéménite de 68 ans a maintes fois consulté, parfois en urgence, souvent sans rendez-vous, tous les médecins de la clinique, les uns après les autres, chaque fois pour le même problème : des douleurs abdominales. Endoscopies, échographies, lavements barytés : on n'a jamais rien trouvé. Et aucun des médicaments essayés ne l'a jamais soulagée.
Quand le Dr Matalon arrive dans la clinique, donc, il « hérite » de « Zohara ». Un soir, après trois ans de frustrations, elle revient le voir, sans rendez-vous comme il se doit, accompagnée de sa sœur de 54 ans. Ce soir-là, après l'avoir fait mariner dans la salle d'attente, le médecin trouve enfin le temps de lui demander à quoi correspondent les petites cicatrices qu'elle a, de la tête aux pieds, depuis qu'il la connaît. Réponse : il s'agit d'un remède traditionnel yéménite : on applique un clou chauffé au rouge autour des zones douloureuses.
Et puis, la sœur raconte la triste vie de Zohara : sa mère est morte quand elle avait 7 ans ; elle a été mariée de force à 12 ans alors qu'elle n'était pas encore réglée ; elle a été mère à 14 ans, veuve à 16. Elle s'est remariée avec un cousin plus âgé, avec lequel elle a eu sept autres enfants, dont deux atteints d'une trisomie 21. Ce second mari, très gentil au Yémen, est devenu alcoolique lorsqu'ils ont émigré vers Israël. Actuellement, deux de ses enfants sont en prison, deux en institution psychiatrique, deux ne sont pas en Israël. La seule personne qui l'entoure est sa sœur aînée, elle-même mariée à un alcoolique et mère de deux enfants trisomiques.
« Sohara n'était pas illuminée ; elle avait été victime d'une malédiction et on lui avait infligé ses brûlures pour la soustraire aux yeux du diable », écrit le Dr Matalon.
A partir de ce jour-là, les relations entre le médecin et sa patiente ont changé. Elle vient toujours souvent à la clinique, toujours pour des douleurs abdominales, toujours sans rendez-vous. Parfois, le médecin l'examine ; parfois ils ne font que parler de la douleur. Toujours dans un respect mutuel et dans le nouveau rôle qu'elle a assigné à son médecin : juste être là.
« BMJ » du 10 février 2001, p. 342.
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