Quinze ans de coopération franco-russe sur les sciences de la vie

Publié le 15/03/2001
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«T OUTE la philosophie de notre programme, s'agissant de la station Mir, répond à la question : en quoi l'absence de pesanteur peut-elle aider à comprendre les sciences de la vie ? », explique au « Quotidien » le Dr Antonio Güell. Un programme qui s'est déroulé, quinze ans durant, selon trois modalités principales : les vols négociés entre le CNES et la Russie, pour lesquels la France finançait un ticket de vol par cosmonaute et embarquait un certain nombre d'expériences ; les vols sans Français à bord, mais avec des programmes élaborés par nous et mis en œuvre à bord de la station par les cosmonautes russes ; les manipulations et mesures au sol avant et après les missions. »
Le premier vol d'un Français sur MIR s'est déroulé en 1988 (mission Aragatz), avec Jean-Loup Chrétien qui a effectué, à cette occasion, la première sortie extra-véhiculaire d'un Européen.
« C'est en 1989 que la France a signé avec l'URSS un accord-cadre sur les vols habités pour les dix années suivantes », raconte José Achache, directeur général adjoint scientifique du CNES. Un accord « renforcé par la signature, en 1992, d'un protocole entre la France et la Russie, pour réaliser quatre vols de spationautes français avant l'an 2000 ».
Certaines missions ont laissé un souvenir mémorable : la mission Cassiopée (1996), qui a permis au Dr Claudie André-Deshays de séjourner pendant 16 jours à bord de Mir. La mission Pégase (1998), avec Léopold Eyharts, et de nouveaux protocoles sur la physiologie humaine. La mission Perseus, enfin, dans le cadre de laquelle Jean-Pierre Haigneré, ingénieur de bord, a ravi le record de durée dans l'espace pour un spationaute non russe, avec 188 jours passés en orbite.
Plus de 16 500 expériences scientifiques auront été effectuées à bord de Mir, allant de la médecine à la biologie animale et végétale, en passant par l'astronomie, la physique, la science des matériaux et la technologie.
Dans le domaine des sciences de la vie, la coopération franco-russe fut d'abord consacrée à l'étude de la fonction cardio-vasculaire en microgravité, en utilisant les ultrasons, le doppler et l'échographie, toutes méthodes non invasives.
« C'est ainsi que de nouveaux mécanismes impliqués dans la régulation de la pression artérielle furent décrits pour la première fois chez l'homme, souligne M. Achache, notamment sur le rôle fonctionnel du système veineux des membres inférieurs dans la dysrégulation de la pression artérielle via les muscles posturaux et la régulation neurovégétative ». On a élaboré de cette manière un modèle reproduisant le processus de vieillissement normal.

Retombées industrielles

Dans le domaine des neurosciences, le terrain d'expérimentation fourni par Mir a fait progresser la connaissance du vivant et favorisé les retombées industrielles : « Certains appareils ou tests ou procédures conçus pour l'espace et pour les cosmonautes sont désormais utilisés dans les cabinets médicaux et les hôpitaux afin d'améliorer les approches diagnostique et thérapeutique, explique le Dr Güell. Par exemple, le CNES a contribué à la mise au point d'un système d'exploration complet de l'équilibre statique et dynamique en développant une série de plates-formes et un locomètre ; ces appareils sont aujourd'hui largement utilisés, d'une part, dans certaines pathologies dégénératives du système nerveux central et, d'autre part, au cours des phases de rééducation des accidents vasculaires cérébraux. »
Egalement à l'actif des expérimentations menées à bord de Mir par Français et Russes, l'oculomètre, qui permet de filmer les mouvements des yeux dans le proche infrarouge ; la mise au point d'un traitement qui réduit, voire supprime, l'ankylose dès l'ablation du plâtre, après fracture ou entorse, en entretenant la mémoire du mouvement dans le cerveau, des fenêtres étant ménagées dans le plâtre à hauteur des tendons musculaires pour effectuer des stimulations vibratoires, en alternance sur les muscles agonistes et antagonistes.
La médecine du sport, ou encore la rééducation fonctionnelle, a également tiré profit des recherches effectuées par les cosmonautes français et russes, avec des systèmes d'analyse qui permettent de juger de l'efficacité thérapeutique de certains médicaments prescrits dans les maladies dégénératives du système nerveux central.
En ce qui concerne l'étude de l'os et de sa perte de densité en apesanteur, le CNES a largement contribué à la mise au point et au développement d'un tomodensitomètre à rayons X très utilisé aujourd'hui pour évaluer les conséquences des phénomènes de déminéralisation osseuse, en particulier chez la femme après ménopause.
On le voit, la liste des applications au sol des expériences réalisées à bord de Mir est longue. Il faudrait citer encore l'ergomètre de cheville, qui évalue les performances biomécaniques des cosmonautes de retour d'une mission et qui permet aujourd'hui de suivre les thérapies géniques appliquées à certains types de myopathie ; l'évolution de toutes les technologies d'aide au travail et de robotique qui permettent d'améliorer les outils et les équipements destinés aux handicapés ; la réalisation d'un appareil qui évalue le taux et la nature des radiations reçues par les personnels navigants, un appareil désormais utilisé par les médecins du travail de compagnies aériennes comme Air France ou pour la surveillance de certaines zones à risque dans les centrales nucléaires.

L'ISS en 2004

La disparition de Mir ne met bien évidemment pas un terme à toutes ces expériences, appelées désormais à se poursuivre à bord la la Station spatiale internationale (ISS), actuellement en cours d'assemblage. « L'instrument Cardiolab équipera ainsi en 2004 l'ISS, qui poursuivra l'étude de la physiologie cardio-vasculaire engagée sur Mir dans le cadre du programme Physiolab, annonce José Achache. Des réflexions sont également amorcées en génomique dans la perspective des futures missions spatiales automatiques. Il s'agit, d'une part, de la mise au point de capteurs biologiques, protéines spécifiques ou ADN, pour la mesure d'éléments environnementaux et, d'autre part, d'éléments appelés "puces biologiques" qui, à long terme, pourraient se substituer aux composants électroniques utilisés aujourd'hui dans les missions spatiales de longue durée. »

Le Centre national d'études spatiales organise à Lyon, du 19 au 21 mars, un symposium international consacré à « la coopération scientifique internationale à bord de Mir ». Des sessions seront en particulier proposées sur les sciences de la vie dans l'espace, les sciences de la matière et l'observation de la Terre et de l'univers ( renseignements sur Internet : www.cnes.fr)

Christian DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6878