L ES 39 laboratoires pharmaceutiques qui ont intenté un procès, en Afrique du Sud, contre une loi favorisant la fabrication de génériques, ont obtenu une suspension des débats jusqu'au 18 avril, le tribunal ayant accepté la plainte d'une ONG sud-africaine qui modifie la procédure. Le procès n'en demeure pas moins d'une importance vitale pour l'Afrique du Sud et pour le continent africain.
La plainte des laboratoires est très mal jugée par l'opinion et ils auraient dû y songer avant d'engager un procès où ils apparaissent soucieux de leurs résultats financiers et indifférents à un fléau qui décime les populations africaines.
Sur le diagnostic, nulle erreur n'est possible. Si le SIDA est, aux Etats-Unis et en Europe occidentale, une maladie relativement contrôlée grâce à de nouveaux médicaments et qui tue moins de personnes que les cancers ou les maladies cardio-vasculaires, il dévaste l'Afrique : le prix des trithérapies est beaucoup trop élevé pour les pays en développement, des familles entières disparaissent, le tissu social africain est en morceaux, les orphelins se comptent par centaines de milliers, les services administratifs et sociaux manquent de personnels, bientôt l'éducation sera privée d'enseignants et la santé de soignants.
C'est une calamité à laquelle personne ne peut rester indifférent et pour laquelle une prise de conscience mondiale devient indispensable. Ce n'est pas seulement l'affaire de l'Afrique, qui n'a pas les moyens de lutter contre la pandémie, c'est l'affaire de l'humanité.
Le premier remède qui vient à l'esprit, c'est bien sûr de mettre gratuitement à la disposition des malades les traitements dont bénéficient les pays riches. Pour ceux-ci, c'est un devoir. Des tentatives, comme le Fonds de solidarité anti-SIDA, lancé par Bernard Kouchner, sont restées lettre morte, les fonds réunis (principalement avec l'aide de l'Etat français, alors que M. Kouchner s'adressait aux laboratoires pharmaceutiques) étant notoirement insuffisants. Cela ne veut pas dire qu'il faille renoncer au principe même de gratuité pour tous les malades incapables de payer leur traitement. En revanche, on peut se demander si l'approche qui consiste à demander aux laboratoires le financement des traitements gratuits est la bonne : les firmes pharmaceutiques sont des entreprises qui ne peuvent pas financer leur recherche si elles ne dégagent pas des bénéfices. Qu'elles soient associées à un effort de solidarité, soit. Mais elles cesseront de produire leurs médicaments le jour où elles devront les offrir au lieu de les vendre et la recherche en pâtira.
Doivent-elles pour autant s'opposer à la production de génériques meilleur marché si des populations entières peuvent, de cette manière, obtenir un traitement comparable à celui qui est dispensé dans les pays industrialisés ? La réponse est non, pour autant que l'on puisse garantir que les copies ne concurrencent pas un jour les médicaments princeps sur leur propre marché. Or cette garantie est difficile à fournir. En outre, il faut s'assurer que les génériques sont efficaces et sans danger. Enfin, il faut non seulement mettre les traitements à la disposition des pays pauvres, mais il faut aussi que des réseaux de soignants soient constitués, qui imposent la prise de médicaments aux malades et la contrôlent.
On voit déjà que, si les génériques constituent un début de solution, ils ne sont pas toute la solution. Et on comprend aussi que, s'il est normal de faire appel à la solidarité des laboratoires, la responsabilité du drame africain est moins la leur que celle des gouvernements des pays industrialisés dont l'aide aux pays pauvres est en constante régression et qui ne se sont guère mobilisés, à ce jour, pour acheter les traitements aux laboratoires et les remettre aux pays pauvres, ou pour envoyer en Afrique des corps expéditionnaires de médecins et d'infirmières.
Pourtant, la tragédie qui se déroule dans le continent africain mérite un tel effort international. On peut, bien sûr, laisser l'industrie pharmaceutique s'enfoncer dans une procédure qu'elle a elle-même déclenchée. Mais ce procès n'est qu'un aspect du problème.
La lâcheté du monde industriel
Dans cette affaire, le monde industrialisé est lâche. Il sait que l'Afrique se meurt. Il sait que la prévention, les réseaux de soins et les traitements coûtent cher, ce qui signifie qu'ils peuvent être mis en place avec de l'argent. Certes, beaucoup d'argent. Mais l'Europe peut fournir un effort financier ; et l'Amérique, qui s'apprête à recevoir des mains de George W. Bush, sous forme de réduction d'impôts, des milliards de dollars d'excédents budgétaires, pourrait en distraire une partie pour soulager l'Afrique.
Jamais l'aide américaine à l'étranger n'a été aussi faible : à peine 0,3 % du produit intérieur brut, dans une économie de 10 000 milliards de dollars. Si l'aide des Etats-Unis à l'étranger atteignait la proportion de 1 %, celle-là même qui était jugée souhaitable et nécessaire dans les années soixante-dix et quatre-vingt, ce seraient aussitôt 70 milliards de dollars qui seraient disponibles non seulement pour lutter contre le SIDA en Afrique, non seulement pour acheter aux laboratoires les traitements les plus coûteux, mais pour combattre toutes les maladies en Afrique. Mais qui croit encore à une solution fondée sur la générosité humaine ?
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