E N Afghanistan, les taliban, qui ont le pouvoir à Kaboul, ont décidé, comme chacun sait, de détruire d'irremplaçables et antiques statues de bouddha, sous le prétexte que l'islam est hostile à toute forme d'idolâtrie.
Du moins ont-ils affirmé qu'ils l'avaient fait, à coups de canons et de roquettes. Mais pour en être certain, il faudrait aller voir. Le chef des taliban, dont on voudra bien nous excuser d'avoir oublié le nom, s'est étonné du tollé international qui a accueilli sa décision, laquelle n'a été approuvée par personne, pas même par les pays les plus dévotement musulmans, par exemple l'Arabie saoudite. Après tout, aurait-il dit, il ne s'agit que de pierre. Cette réflexion donne la mesure d'une forme exceptionnelle d'insensibilité humaine à l'art (les statues étaient monumentales) et à l'homme : que l'Afghanistan ait été peuplé par des bouddhistes avant sa conversion à l'islam semble intolérable aux taliban, qui n'hésitent par à réécrire l'histoire en oblitérant le passé de leur pays.
Mais, avant de s'en prendre à leurs monuments historiques, les taliban avaient fait pire, notamment en soumettant leurs femmes à une condition proche de l'esclavage. Et, s'ils sont capables de tenir en respect les factions qui leur disputent le pouvoir et guerroient dans le nord du pays, ils ont détruit leur économie, avec cette finition dans le travail qui fait qu'aujourd'hui la famine menace les Afghans, déjà accablés par plus de deux décennies de batailles, souvent exilés au Pakistan ou astreints à une existence sordide et misérable dans un pays où les guerres civiles ont fait des centaines de milliers de morts.
Les lois d'airain des taliban ont été condamnées par toutes les organisations humanitaires, par l'ONU et par les démocraties ; le sort de la femme afghane a donné lieu à des appels mondiaux ; les excès de l'intégrisme ont été dénoncés sans complaisance. La démolition programmée des bouddhas a sans doute concentré toutes les colères soulevées auparavant par le régime de Khartoum. Mais dès lors que les taliban exerçaient sur leurs semblables des actes d'une cruauté inhumaine, comment ne se serait-on pas attendu à ceux qu'ils viennent de commettre contre des statues ?
La colère des institutions internationales, notamment l'UNESCO, montre aussi que, trop souvent, on tolère de par le monde des régimes dont on sous-estime peut-être la vraie nature. Le fondamentalisme se répand d'autant plus vite qu'il n'est pas décrit comme une idéologie obscurantiste, mais comme un mouvement historique comparable à d'autres et, peut-être, tolérable. Là où il fait ses débuts, on ne s'oppose pas à lui. Quand il triomphe dans un formidable renversement des valeurs, on s'inquiète. Mais c'est trop tard. Combien de gouvernements ont cru, il y a quelques années, que les taliban mettraient de l'ordre dans un Afghanistan dévasté par la guerre civile ? Combien ont été complices de ses excès, les uns parce qu'ils voulaient effacer l'influence soviétique dans la région, les autres parce qu'ils voyaient dans la révolution des taliban le prolongement d'un courant révolutionnaire mondial ? Combien d'Etats musulmans dits modérés, par exemple l'Arabie saoudite, ou le Pakistan tourmenté et anarchique, entretiennent avec Kaboul des relations amicales, sans se demander si, un jour, leurs propres régimes ne vont pas être emportés par la vague intégriste ?
Il ne faut jamais sous-estimer un adversaire, fût-il seulement potentiel. Quand des excités commencent leur carrière, il faut savoir qu'ils ne s'arrêteront pas à nos frontières et que, en conséquence, il est préférable de ne pas pactiser avec eux.
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