« Si je ne l'avais pas traité, il serait encore vivant. » Le Dr Bruno Boniface, psychiatre, a soigné un jeune homme agoraphobe afin qu'il retrouve le goût de sortir à Paris. Son patient y est parvenu, le 13 novembre 2015, avant d'être tué sur l'une des terrasses lors des attentats revendiqués par Daech.
Trois ans après, le psy parle toujours « avec émotion » de ce jeune homme : « Il y a ce travers du médecin, on est là pour sauver des gens, on a cette espèce de fantasme de toute puissance. » Le décès d'un patient, « ça nous ramène soit à notre impuissance, quand c'est inévitable, soit à notre faillibilité, quand on n'est pas sûr d'avoir fait tout ce qu'il fallait faire. Et plein de choses auxquelles on n'est pas du tout formés à la fac de médecine ».
« Notre hantise à nous les psys, c'est le suicide »
Le médecin se remémore les raisons pour lesquelles ce patient était venu le consulter. « Son but était d'aller retrouver la liberté d'aller boire des verres en plein Paris, sans appréhension, raconte le psy de 57 ans, et la première fois qu'il a pu le faire, c'était le 13 novembre ».
Ce trentenaire, dont il tait le prénom, consultait depuis environ cinq mois. Paralysé par son anxiété, ce jeune homme avait des « attaques de panique », incapable de prendre le RER, s'isolant de ses copains qui habitaient Paris.
Pour le soigner, Bruno Boniface décide d'une thérapie brève, graduelle, avec des exercices : « Prendre des modes de transports moins enfermants comme le bus, puis le métro, etc. » Après une dizaine de séances, le patient « commençait à retrouver les capacités pour sortir… et puis, c'est comme ça qu'il s'est retrouvé à enfin réussir à rejoindre des potes le 13 novembre ». Il s'agissait d'un « exercice », lâche Bruno Boniface, factuel.
Le lundi 16 novembre, un message de la compagne du patient sur son répondeur lui annonce sa mort, sans détails : « Dans ma tête, je n'avais pas du tout compris de quoi il était décédé. » Il confie s'imaginer d'abord autre chose : « Notre hantise à nous les psys, c'est le suicide. »
Trois jours après la tragédie qui a fait 130 morts, le médecin dont le cabinet est situé à deux pas de l'un des bars visés par les jihadistes, ne s'imagine pas une seconde que son patient puisse avoir été abattu lors de la tuerie. C'est en rappelant la jeune femme qu'il finit par comprendre.
Le psychiatre dans la position du malade
« En vrac et chamboulé », il se décide à en parler avec son superviseur, « le psy du psy » : « J'ai commencé par culpabiliser, par me dire ''je l'ai traité pour son agoraphobie, pour qu'il puisse aller boire un verre et c'est là qu'il s'est fait tuer''. »
« J'ai joué un rôle dans son décès. Si je ne l'avais pas traité, il serait resté agoraphobe et il serait vivant », dira-t-il alors. Lui qui doit souvent expliquer à ses patients « la différence entre responsabilité, intentionnalité et causalité », se retrouve dans la position du malade : « Ça m'est tombé sur la tronche. C'était à moi de faire ce travail et on n'est pas son meilleur psy. »
Lors de cet échange avec son superviseur, il décortique la situation : « Je passais du rôle de l'accusation à la défense pour m'accuser et me disculper dans le même dialogue jusqu'à m'apaiser avec le fait que j'ai fait mon job. »
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