L ES humeurs de la Bourse ne sont pas un sujet passionnant : elles ne concernent que les porteurs de parts, riches institutionnels ou investisseurs individuels qui ne sont pas, en France, très nombreux, même si les succès récents de l'indice français ont amené vers la Bourse beaucoup d'épargnants qui s'en tenaient naguère prudemment éloignés.
Mais le comportement de la Bourse n'est pas sans effet sur l'économie en général, surtout aux Etats-Unis, éléphant industriel dont le moindre mouvement casse beaucoup de porcelaine chez nous.
Jusqu'à la fin de l'hiver 2000, les marchés financiers n'ont pas cessé de progresser, poussant la valeur d'un grand nombre d'actions à un niveau inespéré. Les investisseurs américains se jetaient avec une voracité d'insecte sur n'importe quelle valeur, persuadés qu'elle ne pouvait qu'enchérir. On en était arrivé à faire des raisonnements économiquement absurdes, notamment celui selon lequel une entreprise n'avait pas besoin de gagner de l'argent pour receler, dans ses structures, un potentiel de valorisation. Dans le domaine des nouvelles technologies (NT), chouchous des investisseurs, de nombreuses sociétés faisaient appel, à intervalles rapprochés, aux capitaux extérieurs ; et tandis que leurs dirigeants vivaient sur un grand train, elles accumulaient les déficits. Des sociétés comme Amazon (distribution sur Internet) faisaient des chiffres d'affaires colossaux sans gagner un seul centime et même en perdant de l'argent, ce qui n'empêchait pas leur capitalisation d'augmenter à une rapidité foudroyante.
Le président de la Banque fédérale des réserves, Alan Greenspan, n'a pas caché son inquiétude, dès 1999, en soulignant par une expression devenue célèbre, « l'irrationnelle exubérance » des marchés, le danger que présentait la formation d'une « bulle financière » sur le point d'éclater, comme au Japon dans les années quatre-vingt-dix, où une hausse des valeurs mobilières et immobilières avait atteint le seuil de la pure folie pour aboutir à un désastre dont les Japonais ne se sont pas encore relevés.
M. Greenspan voulait calmer le jeu, il y est parvenu. En un an, les investisseurs américains ont perdu 4 000 milliards de dollars. L'indice Dow Jones n'a pas pas progressé d'un penny depuis deux ans, et l'indice Nasdaq (nouvelles technologies) a perdu plus de la moitié de sa valeur depuis mars 2000. La Silicon Valley est sinistrée ; les petites sociétés ferment leurs portes, les grandes licencient massivement.
De même qu'on comprenait mal l'enthousiasme des acheteurs en 1999 et 2000, c'est-à-dire quand ils achetaient des actions de sociétés non rentables ou croulant sous les passifs, de même aujourd'hui, on ne comprend pas du tout que, tout à coup, la notion même de nouvelle technologie soit devenue synonyme de suicide financier. Le marché des NT n'est pas appelé à se contracter, mais à se développer ; le coup de déprime actuel a peut-être fait baisser les ventes d'Intel (fabricant de puces) ou de Sisco (systèmes en ligne) mais il recommencera à progresser, c'est une certitude. En effet, il n'y a pas aujourd'hui une entreprise qui puisse se développer sans s'appuyer sur les NT. Elles aident à la vente et à la gestion, et constituent donc un facteur de développement. En même temps, les NT ont conquis le foyer familial, tout au moins aux Etats-Unis : on n'est plus un citoyen normal si on ne communique pas par Internet.
L'exubérance dans la panique n'est donc pas moins excessive que la précédente. La correction est intervenue, elle doit cesser. Mais comment tenir le langage de la raison à des gens, individus ou sociétés, qui ne sont rationnels ni dans les périodes de prospérité ni dans celles de déclin ? De même qu'ils étaient les auteurs de leurs succès, ils sont maintenant à l'origine de leurs revers. Et comme la crise des marchés affecte d'abord les Etats-Unis, le malheur est d'autant plus grand que les Américains, qui comptaient sur leur portefeuille d'actions, n'ont pas épargné. Ils se retrouvent donc bien dépourvus et leur morosité est contagieuse. Il n'y a rien qui ne se produise à la Bourse de Paris et ne vienne d'outre-Atlantique.
Il est temps que M. Greenspan fasse un nouveau discours. Il peut dire par exemple que, paradoxalement, la crise est limitée au marché des valeurs et ne gagne pas les sociétés « de briques et de mortier » (par opposition aux compagnies virtuelles). Ce maëlstrom, qui a englouti beaucoup d'espoirs et dure depuis un an, n'a fait progresser le chômage aux Etats-Unis que de 0,2 %. Où vont les licenciés ? Sans doute sont-ils récupérés par les grandes industries ou montent-ils leur propre affaire.
M. Greenspan peut aussi procéder à une baisse des taux d'intérêt qui, associée à la réduction d'impôts décidée par George W. Bush, relancera l'économie. Ohé, les boursicoteurs, cessez de croire au pire. Vous allez nous rendre malades.
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