A U lendemain du premier tour des municipales, on note que la campagne a accru le décalage entre la classe politique et les électeurs. La première s'est jetée dans la bataille avec une ardeur anormale pour des élections décrites par certains comme non politiques et purement locales ; les seconds lui sont restés plutôt indifférents.
Les élus - ou les candidats - ont accordé cette année aux municipales l'importance qu'a le coup d'envoi d'un tournoi plus vaste. Elles sont, à leurs yeux, le premier tour de la présidentielle et des législatives de l'an prochain. Elles indiqueront, au deuxième tour, le poids réel des partis ou des alliances ; elles constitueront le signe avant-coureur des défaites et des victoires à venir ; elles sont donc politisées, quoi qu'on en dise, sinon par l'électorat, par ses mandataires.
On ne peut pas dire vraiment que le discours politique, parfois passionnel, ait dérapé dans l'outrage. La campagne n'en a pas moins donné lieu à des manifestations d'intolérance. On a remarqué, par exemple, que le digne et intègre Philippe Séguin a déversé, lors de l'une de ses toutes dernières réunions électorales, un torrent de jugements négatifs sur la gauche, celle de l'argent, a-t-il dit, celle qui se moque de l'insécurité tant qu'elle ne gagne pas les beaux quartiers où elle habite. Propos musclés, pas nécessairement faux pour un certain nombre des personnes qu'il vise, mais non conjoncturels et non programmatiques.
L'importance des mots
Dans ce registre, on risque d'aller loin et d'inclure, dans le même anathème, un fils de président défunt ou un ancien conseiller du même président, tous deux pris au piège de la même affaire, mais qui n'ont aucune influence sur la gestion des mairies. La corruption de la classe politique, là où elle confirmée et sanctionnée (mais seulement dans ces cas-là), n'est pas un argument dans les municipales, sauf à Paris où elle aura été déterminante. D'abord parce qu'elle concerne et la majorité et l'opposition ; ensuite, parce que la plupart des communes de France sont en dehors de la tourmente. Bref, on aimerait bien que les élections municipales restent en dehors d'un débat qui va devenir extrêmement vif et délétère l'an prochain. Nous ne sommes pas pressés d'en arriver là.
Et comme la politique se résume souvent à des mots, il ne faut pas négliger leur importance. Il n'est pas acceptable, par exemple, que Roxane Decorte ait été agressée verbalement au cours d'un meeting par des voyous qu'aurait envoyés, selon la victime, le clan Tiberi. Le risque d'un trop grand zèle politique, c'est forcément le dérapage sémantique, symptôme d'une intolérance incompatible avec la démocratie.
D'ailleurs, ce n'est peut-être pas par hasard que les perturbateurs s'en soient pris à une femme. Ce sont toujours les femmes qui font de la politique que les hommes politiques supportent le moins. Un peu comme si dans leur jugement, il y avait ce commentaire : « Non seulement elle attaque mon camp, mais, en plus, c'est une femme. Pour qui se prend-elle ? »
Toujours fébrile, nerveux, et apparemment au bord de l'exaspération, Lionel Jospin lui-même n'est pas exempt de ce travers. « Moi, a-t-il dit en substance, je vais aux meetings électoraux, je n'y envoie pas ma femme. »
Un statut inférieur ?
Il aurait mieux fait de se taire. En premier lieu parce qu'il a dû renoncer à plusieurs apparitions parce que les agriculteurs avaient menacé de l'accueillir à leur manière ; en second lieu parce que, s'il est vrai que Mme Jospin applique avec une rigueur tout à fait estimable la règle en vertu de laquelle elle n'intervient pas publiquement sur le plan politique, cette discipline n'est pas prévue par les textes ; et des femmes de ministres ou de président ont le droit de penser le contraire : il ne faut pas qu'un statut inférieur leur soit assigné sous le prétexte qu'elles occupent une place privilégiée dans la société.
N'importe quelle citoyenne, fût-elle épouse de président, comme Bernadette Chirac, qui a décidé de soutenir un certain nombre de candidats aux municipales, dont Philippe Séguin, doit avoir le droit de s'exprimer si elle le souhaite. Ou de ne rien dire.
En d'autres termes, ce qui est agréable, en démocratie, c'est que le Premier ministre peut se permettre d'épingler le chef de l'Etat ou sa femme ; ce qui est moins agréable, c'est que l'homme qui a fait de la parité un système s'en prenne à une femme. Bien entendu, si le président était une femme, M. Jospin aurait critiqué son mari, ou plutôt l'usage de son époux par un chef d'Etat. Mais, de toute façon, il aurait dû passer outre. Dans cette société bavarde qui est la nôtre, parler ou prendre position ne sauraient être considérés comme des écarts ou des indiscrétions.
Il faut veiller en effet à ne pas faire payer aux gens, hommes ou femmes, la condition qui est la leur et qui, si elle ne doit leur prodiguer aucun privilège, ne doit pas non plus limiter leurs droits. Personne n'est au-dessus des lois, ni même des jugements de l'opinion. Mais d'avoir pour mari un président ou une célébrité ne rend ni sourd ni muet.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature