En soutien aux mères précarisées d’Anvers

Une boîte à bébés pour contourner la loi belge

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Publié le 09/07/2018
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ANVERS

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Crédit photo : Benjamin Leclercq

C’est une discrète porte à la vitre fumée, au numéro 93 de la Helmstraat, rue tranquille du centre d’Anvers. Une porte toujours ouverte, de jour comme de nuit : il suffit de pousser.

Elle donne sur une étroite pièce, 4 m² tout au plus. Sur l’un des murs, une trappe rectangulaire. Celui ou celle qui l’ouvre découvre un petit lit bien mis, et une enveloppe qui dit les instructions : une « boîte à bébés » pour qui souhaite y abandonner anonymement son nouveau-né. Cette boîte à bébés, la seule de Belgique, est née en 2000 à l’initiative de Moeders voor Moeders (« Des mères pour les mères »), l’une des plus grandes associations de soutien aux mères précarisées d’Anvers (1 200 familles inscrites, 150 bénévoles). Une naissance en catimini : pour devancer les réticences des autorités locales, l’association avait entamé très discrètement les travaux et prévenu la mairie d’Anvers seulement une semaine avant l’ouverture.

L’accouchement sous X pas autorisé

Stratégie payante : le service juridique municipal n’avait pas bronché, et se contentant de « prendre note ». Le jour J cependant, alors que la presse accourt, les critiques pleuvent. La maire de l’époque dénonce un système « moyenâgeux ». L’association fait le dos rond. « Nous savions que rien dans la loi n’empêchait l’existence d’un tel dispositif », souligne Katrin Beyer, l’une des responsables de Moeders voor Moeders. Pour l’association, le but est au contraire de corriger une loi belge qu’elle juge inepte en matière d’abandon. En Belgique, en effet, l’accouchement sous X n’est pas autorisé. Autrement dit, une femme qui accouche à l’hôpital d’un enfant qu’elle ne veut pas garder peut le confier aux services d’adoption mais doit obligatoirement livrer son identité. Si elle veut demeurer anonyme, elle n’a d’autre choix que de l’abandonner… ailleurs.

Et la loi belge sur la protection de l'enfance considère l’abandon d’enfant comme un délit, punissable de prison. « Notre système est imparfait, nous en sommes bien conscients. Mais la boîte à bébés est aujourd’hui le seul refuge anonyme pour ces mères. Nous préférerions que ces femmes puissent aller à l’hôpital en toute sécurité, plutôt que devoir accoucher à domicile pour préserver leur anonymat », témoigne Katrin Beyer. « Lorsque des femmes nous contactent avant le terme de la grossesse, nous leur conseillons d’aller accoucher en France, à Lille, où l’accouchement sous X est garanti. »

Prénom et nom fictifs

Chaque année, entre 50 et 100 femmes belges passeraient la frontière pour donner naissance anonymement dans les Hauts-de-France. Aujourd’hui, la boîte à bébés d’Helmstraat fait presque partie du paysage. Treize enfants y ont été déposés depuis son ouverture. La plupart ont été adoptés ; certains ont retrouvé leur mère, revenue sur sa décision. Quant aux autorités, justice et police comprises, elles ont fini par jouer le jeu. Il a cependant fallu attendre le quatrième bébé, en 2012, pour que le Centre public d'action sociale (CPAS) d’Anvers s’implique. Désormais, c’est le directeur du CPAS (qui est aussi adjoint au maire) qui devient le tuteur légal de chaque enfant abandonné. Moeders voor Moeders a mobilisé une crèche partenaire qui accueille les nourrissons dès le lendemain de l’abandon.

Les bébés sont enregistrés sous prénom et nom fictifs à l’état civil, et rejoignent dans la foulée la liste des enfants adoptables. L’association cesse alors tout lien avec eux. Quant au profil des mères, il est incertain. « Ce ne sont pas de très jeunes femmes, plutôt entre 23 et 33 ans ; et pas spécialement précarisées. Il s’agit essentiellement de femmes qui ont dépassé le délai légal pour avorter (12 semaines en Belgique, N.D.L.R.), ou qui ne se retrouvent pas dans l’IVG, pour raisons personnelles, éthiques ou religieuses », explique Katrin Beyer. Si le débat sur l’accouchement sous X reste ouvert en Belgique, d’aucuns plaident pour une troisième voie : « L’accouchement discret », censé préserver à la fois le droit d’anonymat de la mère et le droit de l’enfant de connaître ses origines. Concrètement, la mère accoucherait dans l’anonymat mais son identité serait consignée dans un document secret, consultable par l’enfant, sur demande, à ses 18 ans.

De notre correspondant Benjamin Leclercq

Source : Le Quotidien du médecin: 9680