Décidément, le dépistage de masse du cancer de la prostate n’a plus le vent en poupe. Alors qu’en 2010, la HAS avait rejeté le scénario d’un dépistage systématique en population générale, estimant que les connaissances actuelles ne plaidaient pas dans ce sens, de nouveaux résultats de l’étude américaine PLCO (The prostate component of the Prostate, Lung, Colorectal, and Ovarian) enfoncent le clou, en montrant que le dépistage systématique organisé n’apporte aucun bénéfice en terme de mortalité.
Cet essai a inclus plus de 76 000 hommes âgés de 55 à 74 ans, lesquels ont été randomisés pour bénéficier soit d’un dépistage organisé annuel avec toucher rectal et PSA, soit d’un suivi classique incluant pour certains un dépistage opportuniste. En 2009, après 7 à 10 ans de suivi, aucun bénéfice en terme de mortalité spécifique par cancer de la prostate n’avait été mis en évidence dans le groupe « dépistage systématique ». Près de 3 ans plus tard, de nouveaux résultats publiés dans le Journal of the National Cancer Institute confirment cette tendance. Après 10 à 13 ans de suivi, si l’incidence des cancers de prostate diagnostiqués est significativement plus élevée dans le groupe
« dépistage » (avec 4?250 cas versus 3?815), aucune différence significative n’a été mise en évidence
en terme de mortalité spécifique par cancer de la prostate entre les deux groupes (avec 158 décès versus 145). Les auteurs relèvent, en revanche, une légère augmentation de la mortalité toutes causes dans le groupe dépisté.
Le dépistage annuel n’est pas nécessaire
Pour le Pr François Desgrandchamps (hôpital Saint-Louis, Paris) comme pour le Pr Malavaux (CHU de Toulouse), ces résultats « confirment que le dépistage organisé ne fait pas mieux que le dépistage individuel ». Ni plus ni moins.
L’interprétation des auteurs de l’étude est plus tranchée : « Ces données confirment que pour la plupart des hommes, il n'est pas nécessaire de se faire dépister chaque année du cancer de la prostate, estime le Pr Gerald Andriole, principal investigateur de l’étude. La majeure partie des cancers que nous avons trouvés évolue lentement et il est peu probable qu'ils soient mortels ». Et de plaider pour une approche plus ciblée et sélective sur des hommes jeunes et en bonne santé, à risque plus élevé de cancer de la prostate, comme les Afro-Américains ou les hommes ayant des antécédents familiaux de la maladie.
Des recommandations imminentes
La stratégie de dépistage ciblé semble aussi faire son chemin en France, y compris au sein des agences sanitaires. Saisie par la DGS sur la question, la HAS devrait en effet rendre dans les prochaines semaines un avis sur la pertinence d’un dépistage ciblé du cancer de la prostate par dosage du PSA chez des hommes considérés à haut risque de survenue de ce cancer.
Fruit d’un travail conjoint avec l’INCa, cet avis viendra préciser, d’une part, s’il est possible d’identifier des personnes à risque aggravé de cancer de la prostate sur certains facteurs de risque (antécédents familiaux de cancer de la prostate, origine ethnique ou encore exposition à certaines substances) et, d’autre part, dans quelle mesure la mise en place d’un dépistage pourrait être bénéfique dans ces populations.
« Le but étant d’élaborer des recommandations », précise le Dr Jérôme Viguier, médecin responsable du dépistage à l’INCa.
Sans attendre ces recommandations, certains praticiens ont déjà mis en œuvre cette approche. « Sauf si le patient est demandeur, je ne prescris pas de dosage de PSA dans une optique de dépistage systématique, témoigne le Dr Jean Godard, médecin généraliste à Val-de-Saâne (Seine-Maritime), mais plus dans le cadre d’un dépistage individuel ciblé sur les patients à risque ou à visée de diagnostic précoce si le patient présente des signes d’alerte. » Une attitude que beaucoup de généralistes auraient déjà adoptée peu ou prou, selon le Dr Godard.
Du côté des urologues, la notion de risque individuel semble également devenir prépondérante, comme en témoigne le récent rapport de l’Association française d’urologie (AFU) sur les « facteurs prédictifs avant, pendant et après le diagnostic du cancer de la prostate » qui prône une approche du cancer de la prostate intégrant davantage cette notion, y compris au stade de dépistage. Ainsi, pour le Pr Malavaud, co-auteur de ce rapport, toute démarche de diagnostic individuel devrait être précédée par une étape d’estimation des risques qui mettrait en balance pour chaque patient le risque d’avoir un cancer de la prostate avec celui de décéder d’autre chose, en prenant en compte son âge mais aussi ses comorbidités.
Reste que, malgré cette évolution des mentalités, les prescriptions de PSA sont encore très fréquentes en France avec près de 7 millions de dosages par an. l’INCa a donc mis en place un groupe de travail afin de « fournir aux hommes s’engageant dans une démarche de dépistage, une information honnête sur les bénéfices et les risques potentiel de ce dépistage », explique le Dr Jérôme Viguier (lire encadré). Parallèlement, l’INCa devrait aussi se positionner plus clairement quand aux pratiques de dépistage individuel à mettre ou non en œuvre pour les populations à risque standard. « Nous sommes en train de voir s’il y a des stratégies d’optimisation ou au contraire de remise en question de ce qu’il se fait actuellement », explique le Dr Jérôme Viguier qui promet une prise de position officielle d’ici la fin de l’année. Une bonne nouvelle car, pour le moment, « la parole de l’état nous manque encore cruellement », souligne le Dr Godard.Autre point positif, « Tous ces travaux se font en lien avec la HAS et l’AFU est représentée dans les groupes de travail, se félicite le Dr Viguier. Nous avons mis tout le monde autour de la table ce qui était encore impensable il y a peu... »
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