Traitement du carcinome hépatocellulaire avancé

Vers une deuxième révolution thérapeutique

Publié le 26/11/2018
cancer hépatique

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Crédit photo : Phanie

Le pronostic du carcinome hépatocellulaire (CHC) avancé est longtemps resté très péjoratif en raison de l’absence de traitement systémique efficace et de la toxicité des chimiothérapies chez des patients le plus souvent cirrhotiques. Le sorafenib, un inhibiteur de tyrosines kinases (TKI) a été pendant plus de 10 ans le seul médicament approuvé sur le plan international pour cette maladie, avec un bénéfice en survie d’à peine 3 mois. Alors que de nombreux essais utilisant d’autres monothérapies, seules ou en combinaisons, ont échoué à montrer un bénéfice supplémentaire en termes de survie et/ou de toxicité par rapport au traitement de référence, une étape majeure vient d’être franchie au cours des derniers mois. 

Vers des associations prometteuses en première ligne

Le lenvatinib, un TKI actif par voie orale, a montré en première ligne, dans l’étude de phase III randomisée REFLECT, une non-infériorité par rapport au sorafenib, avec une survie globale (SG) de 13,6 mois versus 12,3 mois (1). Un bénéfice a également été observé en termes de survie sans progression (SSP : 7,4 mois (6,9-8,8), HR 0,92 95 % CI 0,79-1,06) et de taux de réponse objective (RO : 19 %). La tolérance a été jugée satisfaisante - hypertension artérielle (HTA), protéinurie, hypothyroïdie - comparée à celle du sorafenib - diarrhée, syndrome main pied. Ces résultats ont permis un enregistrement international rapide du lenvatinib, dont en France depuis quelques semaines, en traitement de première ligne du CHC avancé, au même titre que le sorafenib. D’autre part, des résultats encourageants ont été obtenus dans l’étude d’immunothérapie de phase I/II CHECKMATE 040 (RO : 20 %, SG : 28,6 mois) avec le nivolumab chez des patients non prétraités par sorafenib (2).

Les résultats de l’étude de phase III CHECKMATE 459, comparant le sorafenib au nivolumab, n’ont pas encore été rapportés, rendant difficile le positionnement dans cette indication de l’immunothérapie seule. Présentée à l’ASCO (3) puis actualisée à l’ESMO (4), l’étude de phase Ib GO30140, utilisant la combinaison de l’atezolizumab (anticorps anti-PD-L1) et du bevacizumab (anticorps anti-VEGF), a montré une réponse globale de 32 % et une SSP de 14,9 mois (0,5-23,9). Ces résultats ont justifié le lancement d’un essai international de phase III (IMbrave150) comparant la combinaison atezolizumab et bevacizumab au sorafenib en première ligne. Une autre combinaison d’immunothérapie utilisant le durvalumab (anti-PD1) et le tremelilumab (anti-CTLA4) avait déjà rapporté un bénéfice en termes de RO : 25 % contre en moyenne 6,5 % pour l’ensemble des études utilisant le sorafenib (5). À la suite de ces résultats, l’étude de phase III HIMALAYA est en cours. Elle compare le durvalumab seul versus la combinaison durvalumab-tremelilimab versus le sorafenib en monothérapie (6). Enfin, un autre essai de phase 1b (7) combinant une immunothérapie (pembrolizumab) et un traitement ciblé TKI (lenvatinib) a récemment montré des résultats très prometteurs en termes de RO (42 %) et de SSP (9,7 mois), justifiant également le lancement d’une étude de phase III en première ligne du CHC avancé. 

Une multitude de nouvelles molécules en seconde ligne

En 2017, Le regorafenib, un TKI proche du sorafenib, a été approuvé en deuxième ligne à la suite de l’étude RESORCE, montrant un bénéfice en termes de survie par rapport au placebo (10,6 vs 7,8 mois ; HR : 0,63, 95 % CI 0,50-0,79) avec une tolérance satisfaisante (HTA, fatigue, diarrhée, syndrome main pied) (8). Plus récemment, le cabozantinib - un inhibiteur de MET, VEGFR et AXL - a montré dans une l’étude de phase III CELESTIAL un bénéfice en termes de SG (10,2 vs 8 mois, HR 0,76, 95 % CI 0,63-0,92, p=0,0049) et de SSP (5,2 vs 1,9 mois, HR : 0,44, CI 0,36-0,52, p<0,0001) par rapport au placebo, chez des patients prétraités par sorafenib, avec une tolérance acceptable (HTA, syndrome main pied, cytolyse hépatique et diarrhée) (9). Ce médicament vient d’obtenir un enregistrement international, dont en France, en seconde (et troisième) ligne de traitement du CHC avancé.

Enfin, deux études de phase III (REACH puis REACH-2) utilisant le ramucirumab, un anticorps monoclonal ciblant le VEGFR-2, viennent de montrer un bénéfice en termes de survie (8,5 vs 7,3 mois, p=0,0199), de SSP (2,8 vs 1,6 mois, p<0,0001) et de contrôle de la maladie (59,9 % vs 38,8 %) par rapport au placebo chez les patients ayant reçu du sorafenib et ayant une concentration initiale élevée d’alpha-foetoprotéine (> 400 ng/ml) (10). Ce traitement, le premier basé sur un biomarqueur, n’a pas encore été enregistré dans cette indication.

Dans le domaine de l’immunothérapie, les résultats de l’étude de phase I/II CHECKMATE 040 (RO : 15 % (6-28) ; SSP : 4 mois (2,9-5,4) et SG : 15 mois (9,6-20,2)), du sous-groupe de patients ayant reçu du sorafenib, ont permis l’enregistrement du nivolumab en deuxième ligne aux USA, mais pas en Europe. Parallèlement, l’essai de phase II KEYNOTE-224, utilisant le pembrolizumab, a montré un bénéfice en termes de RO (16,3 %, 95 % CI 9 ,8-24,9 %) dont une réponse complète (11). La médiane de SSP était de 4,9 mois (3,4-7,2) et la SG de 12,9 mois (9,7-15,5), avec une tolérance satisfaisante (cytolyse hépatique dont 3 % d’hépatite auto-immune et fatigue ; 5 % occasionnant un arrêt du traitement), justifiant une étude de phase III (KEYNOTE-240) dans cette indication en seconde ligne. Plus récemment encore, une autre immuno-monothérapie utilisant le camrelizumab a montré des résultats similaires (RO 14 %, SSP 2,3 mois et SG 14,4 mois) confirmant qu’il s’agit bien de résultats liés à une nouvelle classe thérapeutique et non à une propriété isolée des médicaments (12). 

Ainsi, une avancée considérable a été obtenue dans les 18 derniers mois dans le traitement du CHC avancé grâce à de nouvelles molécules et surtout à l’apport de l’immunothérapie, avec des survies inhabituellement prolongées. Les résultats des deux études de phase III en première ligne (nivolumab) et deuxième ligne (pembrolizumab), attendus avec impatience dans les prochains mois, pourraient remettre à plat l’ensemble de l’algorithme thérapeutique du CHC avancé. Enfin, en raison de leur bénéfice important en termes de réponse tumorale, les perspectives d'avenir sont à l’évidence les combinaisons thérapeutiques puissantes (thérapies ciblées et immunothérapie). Elles devront probablement être proposées plus précocement (après échec des traitements locorégionaux), voire en association, chez des patients toujours rigoureusement sélectionnés sur leur fonction hépatique et leur état général.

Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris
(1)    Kudo, Lancet 2018
(2)    El-Khoueiry, Lancet 2017
(3)    Stein, ASCO 2018
(4)  Pishvaian M, Lee M, Ryoo B et al : Updated safety and clinical activity results from a Phase Ib study of atezolizumab + bevacizumab in hepatocellular carcinoma, ESMO 2018, abst LBA 26
(5)    Kelley ASCO 2017
(6)    Abou-Alfa G.K., Lam Chan S., Furuse J. et al, A randomized, multicenter phase 3 study of durvalumab (D) and tremelimumab (T) as first-line treatment in patients with unresectable hepatocellular carcinoma (HCC): HIMALAYA study. JCO 2018, 36 no. 15_suppl.
(7)    Ikeda ASCO 2018
(8)    Bruix, Lancet 2017
(9)    Abou-Alfa, NEJM 2018
(10)Zhu A, Finn, R, Galle, P et al, Ramucirumab as second-line treatment in patients with advanced hepatocellular carcinoma (HCC) and elevated AFP following first-line sorafenib : patient reported outcome results across two phase 3 studies (REACH-2 and REACH) ESMO 2018, abst 622PD. (+Zhu, JAMA Oncol 2017; ASCO 2018)
(11) Zhu, Lancet Oncol 2018
(12)    Qin S, Ren Z, Meng Z et al : A randomized multicentered phase II study to evaluate SHR-1210 (PD-1 antibody) in subject with advnaced hepatocellular carcinoma (HCC) who failed or intolerable to prior systemic treatment, ESMO 2018, abst LBA27.

Pr Olivier ROSMORDUC et Dr Laetitia FARTOUX
En complément

Source : Bilan Spécialiste