C’est une surprise de plus concernant le Covid : passée la phase aiguë, la maladie semble vouloir jouer les prolongations chez certains patients, avec la persistance (ou la résurgence) de symptômes, voire l’apparition de séquelles.
Sur les réseaux sociaux, les témoignages se multiplient. À travers le hastag #apresJ20, de plus en plus de patients officiellement guéris du Covid-19 partagent leur désarroi face à la persistance ou à la réapparition de symptômes plusieurs semaines après l’infection. Regroupés au sein d’un collectif, des « malades du Covid-19 au long cours », comme ils se sont eux-mêmes baptisés, ont même signé dans le Journal du dimanche du 7 juin une tribune dans laquelle ils réclament des actions coordonnées pour être mieux pris en charge.
Dans le même temps, la communauté médicale commence à prendre le problème à bras-le-corps, et tente de mieux comprendre le phénomène pour accompagner plus efficacement les patients.
Un constat inattendu
« Chez les malades pris en charge en milieu ambulatoire, la plupart des manifestations disparaissent en quelques semaines avec la guérison. Toutefois, plusieurs patients signalent la persistance ou la résurgence de certains symptômes », alertait ainsi récemment l’Académie de médecine, appelant à la vigilance vis-à-vis de ces patients « convalescents du Covid ».
S’il est difficile de chiffrer exactement la proportion de malades concernés, « les équipes qui ont pu mettre en place un suivi systématique des patients Covid au début de l’épidémie ont toutes fait ce constat, confirme le Pr Pierre Tattevin, président de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf). Et dans notre cohorte, environ 15 % des patients n’avaient pas récupéré leur niveau de santé de base au bout de six semaines. » Un fait plutôt inattendu, « alors qu’il s’agissait de patients traités en ambulatoire, qui ne présentaient aucun signe de gravité et qui n’avaient pour la grande majorité d’entre eux aucun problème de santé antérieurement », souligne l’infectiologue.
Oppression thoracique, paresthésie, douleurs articulaires, etc. Les symptômes rapportés sont variés et peuvent fluctuer avec le temps chez un même patient. Mais les troubles respiratoires à type de dyspnée ou de toux et l’asthénie intense tiennent le haut du pavé, « avec parfois des patients très affectés qui n’ont pas réussi à reprendre leur activité antérieure », témoigne le Pr Tattevin.
L’anosmie persistante, témoin d’une atteinte neurologique ?
La persistance de l’anosmie est également fréquemment évoquée. « S’il n’y a pour le moment aucuns chiffres nationaux, il semble que la majorité des patients recouvrent l’odorat en 8 à 10 jours, mais 10 à 20 % d’entre eux n’ont toujours pas récupéré au bout d’un mois », indique le Dr Alain Corré (Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild, Paris).
Pour expliquer ce phénomène, l’ORL émet l’hypothèse d’une atteinte neurologique. Même si cela n’a pas été démontré, le nouveau coronavirus est en effet suspecté (notamment par analogie avec le SARS-CoV-1) d’avoir un fort tropisme neurologique. Dès lors, l’œdème majeur objectivé par l’IRM au niveau de la fente olfactive chez les patients Covid anosmiques (et probablement à l’origine de leur symptomatologie) pourrait être une sorte de réponse inflammatoire de défense visant à protéger le nerf olfactif du SARS-CoV-2. Dans certain cas, cette réaction inflammatoire pourrait ne pas suffire à éviter l'atteinte du nerf olfactif d'où la persistance de l’anosmie même après la résorption de l’œdème. Si ce scénario paraît logique, « ce n’est pour le moment qu’une hypothèse », insiste le Dr Corré.
Afin d’y voir plus clair, et de savoir quelle prise en charge proposer aux patients, les ORL franciliens de l'Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild et de l’hôpital Lariboisière (AP-HP) viennent d’ailleurs de lancer l’étude CovidORL et appellent les généralistes à participer au recrutement des patients*.
Troubles organiques ou somatoformes ?
Les mécanismes sous-tendant les autres manifestations persistantes ne sont pas forcément plus évidents. « On n’a vraiment pas l’impression que le virus soit le problème, explique le Pr Tattevin, dans la mesure où la plupart des gens testés (par PCR) sont négatifs. » Alors que beaucoup de patients ont l’impression de récidiver, « c’est une rechute des symptômes mais pas de l’infection virale », insiste l’infectiologue, qui écarte l’idée d’un Covid-19 chronique.
Les bilans effectués chez ces patients ne vont pas non plus dans le sens d’une complication organique sous-jacente. Même si le risque de fibrose pulmonaire secondaire ne peut être totalement écarté (lire encadré page 17), « les scanners ou angioscanners thraciques que nous avons réalisés n'ont rien montré », rassure le Pr Tattevin. De même, « on ne retrouve pas non plus de syndrome inflammatoire, et au final il n’y a généralement pas d’anomalie objective ». Comment, alors, expliquer ces symptomatologies à rallonge ? Pour le moment « la principale hypothèse est qu’il s’agit d’une sorte de rebond post-infectieux de l’immunité ».
L’idée d’une composante psychosomatique est également dans les esprits. « Dans certains cas, le parallèle avec la maladie de Lyme est frappant, reconnaît le Pr Tattevin, et pour une partie des patients, le Covid révèle probablement des difficultés pré-existantes. Mais ce n’est pas la règle. » L’Académie de médecine soulève aussi la question en pointant du doigt l’association fréquente de ces symptômes persistants avec « des troubles psychologiques, s’apparentant au syndrome de stress post-traumatique avec angoisse de mort, liés à l’isolement et au confinement ».
Tout n’est pas Covid
Dans ce contexte, quelle prise en charge proposer ? « Si le tableau évoque des troubles somatoformes, il faut sûrement mettre en œuvre une prise en charge multidisciplinaire adaptée », estime le Pr Tattevin. Mais en dehors de ces situations, « on peut sûrement être un peu plus attentiste, d’autant qu'on a l’impression que les choses rentrent souvent spontanément dans l’ordre après un certain temps ».
En cas d’anosmie post-covid persistante, aucun traitement médicamenteux n’a pour le moment démontré son intérêt. L’étude CovidORL va tester l’efficacité éventuelle du lavage nasal au budésonide, quelques résultats positifs ayant été rapportés avec ce traitement dans l’anosmie post-rhinitique. En attendant, « la rééducation olfactive peut avoir sa place », estime le Dr Corré.
Des données empiriques suggèrent par ailleurs que les troubles respiratoires « pourraient être améliorés par la prise de salbutamol inhalé à petites doses », indique le Pr Tattevin.
Mais face à ces manifestations persistantes ou résurgentes, l'enjeu est surtout de ne pas méconnaître d’autres affections aiguës non liées au Covid-19 dont les symptômes pourraient être mis à tort sur le compte du coronavirus. « Pendant l’épidémie, les autres maladies sont passées au second plan, il ne faut pas que ça continue », insiste le Pr Tattevin, qui appelle à « rester très clinique ».
Le spectre des séquelles
La donne est un peu différente pour les patients ayant été hospitalisés, a fortiori en réanimation. À court terme, « des troubles trophiques s'observent souvent, avec amaigrissement, dénutrition et myalgies, nécessitant supplémentation protidique, kinésithérapie motrice et respiratoire », alerte l’Académie de médecine. Cependant, « de façon étonnante, sur le terrain, les rééducateurs constatent des récupérations plutôt rapides au regard de la gravité des patients lorsqu’ils étaient en réanimation », tempère le Pr Tattevin.
Chez ces patients, des dérèglements psychologiques pouvant affecter la concentration et la mémoire ont aussi été rapportés, signale l'Académie, ainsi que des accidents thrombo-emboliques et des insuffisances rénales.
Dans cette population, la crainte est aussi de voir apparaître des séquelles de l’infection ou de ses complications. La fibrose pulmonaire constitue la principale inquiétude mais le risque de séquelles cardiaques (lire ci-dessous) voire neurologiques a aussi été évoqué, même s’il est encore trop tôt pour être fixé.
* L’étude CovidORL recrute tout patient encore atteint d’anosmie post-covid 30 à 90 jours après l’apparition des symptômes. Pour toute information supplémentaire ou pour adresser un patient : anosmie.recherche@gmail.com.
Quelle contagiosité ?
Les patients qui présentent des symptômes persistants de Covid-19 sont-ils encore contagieux et faut-il à nouveau les isoler ? Non, répond clairement le Pr Tattevin, « car dans la très grande majorité des cas, la PCR est négative et même lorsqu’elle est positive, les patients ne sont probablement plus contagieux car le virus n’est plus présent qu’à l’état de trace ».
Malgré ce constat, l’Académie de médecine plaide pour « la prescription de tests diagnostiques (RT-PCR) chez les convalescents toujours symptomatiques, en particulier chez ceux non hospitalisés qui n’avaient pas été testés lors de l’épisode initial, et de tests sérologiques pour évaluer leur statut immunitaire ».
Selon les données de littérature, si la charge virale se négative en moyenne en deux à trois semaines, des tests positifs ont pu être constatés plus de 60 jours après.