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Dossier

Coronavirus

Dépister, c'est gagner ?

Par Stéphane Lancelot - Publié le 11/09/2020
Dépister, c'est gagner ?


VOISIN/PHANIE

La stratégie ambitieuse de dépistage massif mise en place par le gouvernement lors du déconfinement pour lutter contre l'épidémie de coronavirus était-elle la bonne ? Après avoir autorisé, fin juillet, toute personne à solliciter un RT-PCR pris en charge à 100 % sans ordonnance, le ministère de la Santé a décidé de prioriser à nouveau l'accès aux tests. Car avec le fort rebond de l'épidémie, les laboratoires peinent à réaliser dans des délais convenables les tests en constante augmentation – plus d'un million par semaine. La question de la pertinence de la stratégie du dépistage systématique est désormais posée.

« Protéger, tester, isoler ». Le 28 avril dernier, Édouard Philippe, encore Premier ministre, dévoilait devant les députés le triptyque clé de la stratégie du gouvernement en vue du déconfinement, le 11 mai. Pour permettre aux Français placés sous cloche depuis la mi-mars de reprendre une « vie normale », le chef du gouvernement promettait alors la réalisation de 700 000 tests virologiques par semaine à partir de la sortie du confinement. Et annonçait son intention de s’appuyer sur les médecins généralistes pour le « travail d’identification et de test de tous ceux, symptomatiques ou non, qui auront été en contact avec des personnes testées positives » via la plateforme Contact Covid, gérée par l’Assurance maladie.

Mais dès les premières semaines post-confinement, la stratégie du gouvernement se heurte à ses premières difficultés. MG France pointe, fin mai, la réception tardive dans près d’un cas sur deux des résultats de tests RT-PCR. « Ce délai de réponse [supérieur à 24 heures, NDLR] compromet l'efficacité des mesures de protection et le traçage des contacts », souligne le syndicat.

L’épidémie rebondit malgré l’augmentation des capacités des labos

Quatre mois plus tard, les craintes se sont confirmées. Le cap d'un million de dépistages réalisés par semaine, promis par Olivier Véran, a été franchi fin août. Et cela n'a pas empêché le rebond de l’épidémie en France. Vendredi dernier, 9 000 nouveaux cas positifs – un record – ont ainsi été recensés par Santé publique France.

Malgré l'augmentation de leur capacité de tests, les laboratoires sont débordés, notamment dans les grandes villes. À Paris, la municipalité a mis en place des barnums pour effectuer des dépistages gratuits sans rendez-vous, devant lesquels se pressent les Parisiens. 

De quoi démontrer les limites de la stratégie du gouvernement. Car l’augmentation de la capacité de dépistage s’est accompagnée d’un allongement des délais pour se faire tester et pour obtenir les résultats — quand ceux-ci parviennent aux praticiens. « Au début, on avait les résultats des tests de nos patients en 24-48 heures à tout casser », se souvient le Dr Margot Bayart, généraliste à Réalmont (Tarn) et vice-présidente de MG France. La semaine passée, le laboratoire avec lequel elle travaille lui a annoncé un « délai de cinq ou six jours ». Des délais bien trop longs pour contenir la propagation du virus. « On prend tellement de temps qu’une personne positive a eu le temps d’en infecter 300 au moment où elle a son résultat », déplore le Dr Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). De tels délais peuvent également dissuader certains de se faire dépister, « même lorsqu’elles sont symptomatiques », avance le Dr Jonathan Favre, généraliste installé à Villeneuve-d'Ascq (Nord).

Fin juillet, une étude de modélisation publiée dans le Lancet Public Health a confirmé que tout retard entre l’apparition des symptômes et l’obtention de la PCR pouvait être préjudiciable à l’endiguement de l’épidémie. Selon celle-ci, au-delà de trois jours, la transmission virale ne peut plus être suffisamment réduite pour contrôler la propagation du virus, même en cas de contact-tracing ultérieur optimal.

Les délais de réalisation se sont eux aussi allongés, ce qui n’est pas sans poser problème aux médecins généralistes. « Ils sont variables d’un laboratoire à l’autre », observe le Dr Jonathan Favre. « Il y avait bien des centres de dépistage sans rendez-vous mais ils sont tellement débordés que ce n’est plus vraiment possible d’y aller », confie-t-il. Une situation qui a conduit la maison de santé où le Dr Margot Bayart exerce à ouvrir deux créneaux par semaine cet été pour réaliser des prélèvements. Dans son point épidémiologique hebdomadaire du 3 septembre, Santé publique France révélait que, au 30 août, le délai moyen entre la date de début des symptômes et la date de prélèvement était de 3,8 jours chez les nouveaux cas confirmés*. Celui-ci était, deux semaines auparavant, de 3 jours.

5,1 % C’est le taux de positivité des tests réalisés sur la première semaine de septembre, pourcentage en hausse ces dernières semaines. 

Absence de priorisation jusqu’en septembre

L’une des principales raisons à cet allongement des délais est l’ouverture larga manu de l’accès aux tests PCR. Depuis la fin juillet, tous les Français ont accès à ces tests, pris en charge par l’Assurance maladie à 100 %, sans ordonnance. De fait, patients symptomatiques, cas contacts et personnes ayant besoin de se faire tester pour voyager ou simplement curieuses se retrouvent dans les files d’attente. Le tout sans qu’aucune politique de priorisation n'ait été mise en place jusqu'à la toute fin du mois d’août !

C’est là que le bât blesse. « Les seuls outils dont nous disposons aujourd’hui sont les tests et les gestes barrières. On ne peut donc pas reprocher au gouvernement sa volonté de vouloir tester au maximum (…) mais la priorisation aurait dû être mise en place dès le départ », observe le Dr Bayart. Dans sa MSP, les créneaux de prélèvements ne sont accessibles qu’aux patients symptomatiques et aux cas contacts. Ce n’est finalement que le 31 août que la direction générale de la santé a dévoilé sa stratégie de priorisation. Gouverner, c’est prévoir… « Le reproche qu’on peut faire, c’est qu’on court toujours derrière l’épidémie », avance la présidente de MG France. Si la mesure avait, selon le Dr Favre, un « intérêt » car elle a permis de décharger les médecins de consultations uniquement dédiées à l’obtention d’une ordonnance pour se faire dépister, l’omnipraticien estime qu’il fallait qu’elle soit « assortie d’une filière particulière rapide pour les personnes positives ». Dès la mi-juillet, le président du Syndicat des biologistes, François Blanchecotte, avait averti sur la nécessité de hiérarchiser les demandes, après qu’Emmanuel Macron avait annoncé la mesure.

Et encore, la priorisation n’est pas forcément simple à mettre en œuvre, prévient le Dr Jean-Claude Azoulay, président du Syndicat national des médecins biologistes (voir ci-contre). « Le ministre nous a dit de prioriser mais c’est compliqué à gérer. Certains laboratoires sont contraints de mettre des vigiles devant les files d’attente », confie-t-il. Le Dr Azoulay juge donc « indispensable » que « le dépistage soit décidé par le médecin traitant ». Un avis que partage évidemment le Dr Bayart, qui vante l’approche « systémique » des omnipraticiens avec leurs patients. « On connaît leur environnement (…) C’est la proximité qui donne la pertinence. C’est ce qu’on a perdu au moment de l’ouverture des vannes », constate-t-elle.

À l’heure où certains secrétariats de laboratoire biologique sont sur le point « de péter les plombs » en raison d’appels incessants, le Dr Margot Bayart verrait d’un bon œil le retour à un dépistage des seuls patients symptomatiques ou cas contacts.

Face à ces difficultés, une question se pose : testerait-on trop ? Le Dr Philippe Vermesch est de cet avis. « Aujourd’hui, on va beaucoup trop dans l’extrême, on fait trop de tests. Il vaudrait mieux en faire moins et avoir les résultats plus rapidement. Il faut être efficace », lance le patron du SML. Et celui-ci de plaider pour une meilleure communication du gouvernement sur le coronavirus, notamment auprès des jeunes.

Flou autour des tests

Car outre la rapidité d’accès aux tests PCR et à leurs résultats, la communication du gouvernement sur le dépistage ne semble pas assez efficace. Si de nombreux messages de sensibilisation sont diffusés dans les médias, le Dr Jonathan Favre « n’a pas l’impression que la communication [du gouvernement] soit comprise et entendue ». « Il y a des personnes qui sont allées faire un PCR sans aucun symptôme, sans évènement à risque, juste par curiosité. Elles ne comprennent qu'a posteriori que le test n’est valable que sept jours et n’est pas forcément un test de contagiosité », explique le praticien. À l’inverse « beaucoup n’ont pas compris l’indication à réaliser un test en cas de symptômes infectieux et s’étonnent qu’on (leur ???) prescrive une PCR coronavirus alors qu’elles ont eu un épisode de frissons, une fièvre à 38, une fatigue, des maux de tête, le nez qui coule… », observe-t-il.

En attendant d'éventuels progrès en la matière, Olivier Véran a promis le week-end dernier des délais d'accès aux tests raccourcis d'ici la fin du mois. « Que les Français se rassurent, d'ici deux, trois semaines au plus tard, l'accès aux tests sera facilité », a-t-il déclaré à BFM-TV. Le ministre de la Santé a par ailleurs annoncé mardi que des tests de dépistage rapides du coronavirus, dits « antigéniques », également réalisés à partir de prélèvements par écouvillon dans les narines, et qui donnent un résultat en 15 à 20 minutes, seraient déployés très vite en Île-de-France.

*pour lesquels la date de début des symptômes était disponible et dont la date de prélèvement de la RT-PCR était inférieure à 8 jours

Dossier réalisé par Stéphane Lancelot