Une biographie romancée

D’Orenburg à Montpellier, deux pionnières de la médecine

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Publié le 20/03/2020

D'Orenbourg, en Russie, à la faculté de médecine de Montpellier, où elles s'inscrivent en 1894, Caroline Fabre-Rousseau conte dans une biographie romancée l'histoire de Glafira Ziegelmann et Raïssa Lesk. Deux pionnières.

Elles sont jeunes. Elles sont russes. Elles sont juives. Et leur dessein commun est d’embrasser la profession de médecin. Ce rêve passe par un exil pour fuir les pogroms perpétrés en cette fin du XIXe siècle dans la Russie impériale. D’Orenbourg, ville située à 1 500 kilomètres au sud-est de Moscou, les deux jeunes femmes rejoignent Montpellier et la plus ancienne faculté de médecine du monde occidental, créée quelque 670 ans plus tôt.

Sous la Troisième République, les Françaises sont peu nombreuses à accéder au baccalauréat. Quant aux études médicales, une seule exception : Madeleine Brès, qui, en 1868, entre à la faculté de médecine de Paris à la suite d'un extraordinaire concours de circonstances.

Les étudiantes étrangères, notamment russes et bulgares, bénéficient pour leur part d’une dérogation. Pour autant, leur parcours est parsemé d’embûches. Ainsi, on diagnostiquera à Raïssa Lesk, qui deviendra la mère de l’écrivain Joseph Kessel, une étrange maladie cardiaque. À l’issue de la consultation, le médecin interdira formellement à la jeune femme de poursuivre des études médicales, qui pourraient être fatales à son cœur fragile. Diagnostic erroné ou volonté délibérée de nuire ? Toujours est-il qu’aucun symptôme de cette maladie ne se manifestera jamais plus chez elle. Mais Raïssa sera condamnée à vivre la profession de médecin par alliance, en suivant son mari, le Dr Samuel Kessel, en Argentine puis à Nice.

Glafira Ziegelmann, elle, poursuivra ses études jusqu’à leur terme en se spécialisant en gynécologie, après avoir soutenu sa thèse en 1898 sur la maladie de Basedow. Elle est la première femme interne de la faculté de Montpellier et la première femme admissible à l’agrégation en France, mais le sexisme de l’époque l’empêche de devenir professeur… Elle n’en réussira pas moins une belle carrière dans un cabinet montpelliérain situé à la même adresse que son mari, le Pr Amans Gaussel.

Un cerveau nouveau !

Publiée à l'occasion des 800 ans de la Faculté de médecine de Montpellier, « Elles venaient d’Orenbourg » prend parfois quelques libertés avec les faits. L'auteure imagine notamment l’existence d’une correspondance entre les deux héroïnes après le départ des Kessel pour l’Amérique du Sud.

Cependant, l’ouvrage a le mérite de mettre en lumière les destins extraordinaires de deux femmes, dont l’histoire traverse une période encore récente où la moitié de la population française avait moins de droits que l’autre. Il cite par exemple un article publié en 1900 dans « la Médecine Moderne » sous la plume d’un membre de l’Académie de médecine, qui explique, entre autres analyses inspirées, que « la femme doctoresse (…) s’est imaginée qu’ouvrir des livres et disséquer des cadavres allait lui créer un cerveau nouveau. » L'abnégation des pionnières n’en est que plus remarquable.

Caroline Fabre-Rousseau, « Elles venaient d’Orenbourg », éditions Chèvre-Feuille étoilée (éditions de femmes en Méditerranée), 240 p., 17 €

Guillaume Mollaret

Source : Le Quotidien du médecin